[Ndlr.] Le texte qui suit est une traduction
modifiée de la version anglaise
parue dans l’édition de la semaine
dernière (Haïti Liberté V.4. No. 22. Michel
Martelly, Stealth Duvalierist. P.9).
Il est présenté sous un autre titre.
Dans la presse couvrant la crise
électorale en cours en Haïti,
le candidat à la présidence Michel
« Sweet Micky » Martelly, que le candidat du Parti dirigeant Unité
Jude Célestin a dépassé avec moins
de 1% des votes avec qualifi cation
pour le deuxième tour le 16 janvier,
a été dépeint comme une victime de
fraude électorale et comme le chef
d’un soulèvement populiste contre
le Conseil électoral provisoire (CEP)
corrompu d'Haïti. Certains ont mis en question
son aptitude à devenir président en
montrant du doigt ses bouffonneries
vulgaires en tant que musicien konpa
au cours des deux dernières décennies,
lorsqu'il faisait des remarques
avilissantes à l'endroit des femmes et
périodiquement, baissait ses pantalons
pour exhiber ses fesses. Cependant, le vrai problème
avec Martelly n’est pas sa morale
lubrique, mais son histoire odieuse
en politique et une étroite affiliation
avec les «forces des ténèbres» réactionnaires,
comme on les appelle en
Haïti, qui ont étouffé chaque véritable
tentative que les Haïtiens ont faite au
cours des 20 dernières années, pour
élire un gouvernement démocratique.
Loin d’être un champion de la
démocratie, Martelly a été une majorette
au service de sanglants coups
d’Etat et de régimes militaires auxquels
il a peut-être même participé. Après avoir été diplômé de
l’école secondaire et une tentative infructueuse
pour étudier la médecine,
Martelly a été brièvement enrôlé à
l’Académie militaire d’Haïti avant
d’abandonner. Il a émigré aux États-Unis avec une femme américaine,
où il s’est inscrit à Red Rocks Collège,
une institution communautaire
à Lakewood, Colorado et a travaillé
dans une épicerie locale. En 1986,
après seulement un semestre, il a divorcé
et est retourné en Haïti. Affinités Duvaliéristes
Sous la dictature de Baby Doc
Duvalier, Martelly a dirigé une boîte
de nuit appelée Le Garage, fréquentée
par des militaires et des membres
de la petite minorité dirigeante. Lors
d’une récente conférence de presse,
Martelly a parlé avec nostalgie de
l’ère Duvaliériste, quand François
«Papa Doc» Duvalier et plus tard son
fils Jean-Claude «Baby Doc» imposaient
leur despotisme par les fusils et
les machettes brandi par des Tontons
Macoutes, une sorte de Gestapo haïtienne. Dans un article paru en 2002,
le Washington Post a expliqué comment
le chanteur konpa fut pendant
longtemps « le favori des voyous qui
ont travaillé au nom de la dictature
de la famille des Duvalier tant haïe,
avant son effondrement en 1986 »
Mais les médias traditionnels n’ont
pas encore souligné ces affi liations
passées du chanteur. Les affinités duvaliéristes ne
devraient pas être prises à la légère.
Des groupes des droits de l’homme
comme La Ligue des anciens prisonniers
politiques et des familles
de disparus ont compilé une liste
partielle de plusieurs milliers de victimes
du régime Duvalier, qui a été
publié dans Haïti Progrès en 1987,
mais des estimations totales des personnes
tuées pendant les 29 ans de
cette longue dictature appuyée par les
Etats-Unis, sont de l'ordre de 30.000
à 50.000 personnes. Après la chute de Baby Doc
en Février 1986, un mouvement
démocratique de masse, longtemps
réprimé par les Duvalier, éclata et
devint connu sous le nom de Lavalas,
ou torrent. Martelly est rapidement
devenu un adversaire acharné
de Lavalas, en lançant des attaques
acerbes contre le mouvement populaire
dans ses chansons jouées sur les
antennes de radio haïtienne.
Martelly a commencé à jouer
du clavier comme un «fill-in gigger»
à Pétionville et à Kenscoff, banlieue
est de Port-au-Prince. L'un de ses
emplois régulier était à El Rancho, un
casino appartenant à Joe Namphy, le
frère du général Henri Namphy, qui
a été président d'une junte militaire
pendant une courte période après le
départ de Jean-Claude Duvalier. La montée d'Aristide et le
coup de 1991 Après son élection spectaculaire
avec 67% des votes aux élections
du 16 décembre 1990, Jean-Bertrand
Aristide, ancien prêtre de paroisse et
leader du mouvement Lavalas, a été
inauguré le 7 février 1991 en tant
que président démocratiquement élu
d’Haïti, mais pour être ensuite renversé
par un coup d’Etat militaire, la
première fois, le 30 septembre 1991,
après seulement sept mois de son
terme de cinq ans. Le Miami Herald
observait en 1996 que Martelly « a
été étroitement associé à des sympathisants
du coup d’Etat militaire
de 1991 qui a renversé l’ancien
président Jean-Bertrand Aristide » La junte militaire au pouvoir
en Haïti entre 1991 et 1994 a été
sanglante et brutale. Selon Human
Rights Watch, quelque 5.000 personnes
ont été assassinées par des
soldats de la junte et des groupes
paramilitaires, et des milliers d'autres
torturées et violées. Des centaines de
milliers ont été poussés à la clandestinité
et à l’exil. Martelly est devenu
le bouffon du coup d’État, applaudissant
la junte alors qu’elle était au
pouvoir. Il était un copain du redoutable
lieutenant-colonel Michel François,
qui, comme chef de la police, a été
la principale personne à la tête des
bourreaux du coup d’État. Par exemple,
selon un rapport de la Commission
d’enquête sur le Coup d’Etat
du 30 septembre en Haïti dirigée par
l’ancien procureur général américain,
Ramsey Clark, François conduisait
une Jeep rouge en tête de
plusieurs bus pleins des soldats qui
se dirigeaient vers de grandes foules
manifestant contre le coup d’Etat sur
le Champ de Mars, devant le Palais
national dans la nuit du 30 septembre
1991. (En Janvier 1991, neuf
mois plus tôt, un autre coup d’État
par Roger Lafontant avait été avorté
à la suite de manifestations de masse
similaires.) La foule applaudit les
soldats, croyant qu’ils étaient venus
pour mettre une fi n au coup d’Etat.
Au contraire, au signal de François,
on ouvrit les fenêtres des bus, alors
la police et les soldats ont fauché des
centaines de manifestants avec des
tirs de mitrailleuses. Martelly affirme qu'il a eu son
surnom de «Sweet Micky» (c'est aussi
le nom de son groupe) lors d'une
performance dans une boîte de nuit
en 1988, mais c’est un sobriquet
également partagé par le colonel Michel
François. Le cinéaste et écrivain
américain Kevin Piña se rappelle un
concert à l’Hôtel El Rancho à Pétionville
en Juillet 1993 où le colonel
"Michel François, ... qui était aussi
appelé ‘Sweet Micky' après le coup
d'Etat de 1991 parce que les gens
prétendaient qu'il avait un large
sourire sur son visage quand il tuait
les partisans de Lavalas…saisit la
main de Martelly en annonçant à la
foule: "Voilà le vrai Sweet Micky ".
Et Piña d'ajouter: « C’est la première
fois que j'ai entendu Martelly appelé
comme tel ». On avait annoncé un concert
que Martelly avait organisé à la demande
de Michel François et d'autres
dirigeants de la junte militaire à titre
de manifestation contre Dante Caputo,
le représentant spécial des Nations
Unies en Haïti qui tentait de déployer
des observateurs des Nations Unies
des droits humains dans le pays. Au
même moment, l’armée haïtienne et
les escadrons de la mort de l'infâme
FRAPH étaient en train de massacrer
des membres de la résistance contre
le coup d'Etat. Martelly a joué un concert
gratuit avec l'idée de s’opposer au
retour du président déchu d’Haïti et
à toute présence américaine sur l’île
troublée. Le charismatique Martelly
a refusé de céder à la critique de ses
affi liations avec des politiciens et des
fonctionnaires corrompus. Comme il
a déjà eu à déclarer à un journaliste
« je n’ai pas à me défendre .... C’est
mon droit. C’est mon pays. Je peux
me battre pour ce que je crois » (Miami
New Times, May 29, 1997).
Martelly, connu à l’époque
pour ses nombreuses amitiés parmi
les militaires, s'expliquait ainsi au
Miami New Times: « Je n’ai pas accepté
[la demande de jouer] parce
que j’étais l'ami de Michel François, je n’ai pas accepté parce que c’était
l’Armée. J'y suis allé parce que je ne
voulais pas voir Aristide revenir ». Plus choquant encore, le Père
Jean-Marie Vincent (qui a été tué par
un escadron de la mort putschiste le
28 août 1994) avait accusé Martelly
d’accompagner la police haïtienne
durant des raids de nuit meurtriers
dans le but de traquer de présumés
dirigeants de la résistance Lavalas.
« Nous avons des informations que
Michel Martelly se déplaçait avec
des escadrons de la mort de la police
quand ils sortent la nuit pour prendre
en chasse et tuer des dirigeants
Lavalas », eut à déclarer Vincent au
cinéaste Pina dans une interview filmée. Après le retour d'Aristide en Haïti
en Octobre 1994, Martelly a passé
le plus clair de son temps à vivre
«dans un condo à Miami Beach», où
il « présentait régulièrement un concert
à la Promenade sur Ocean Drive,
où son groupe Sweet Micky jouait le
compas, une musique rythmique de
danse haïtienne », selon le Miami
New Times.
En 2000, Aristide a été élu à
une majorité écrasante pour un second
mandat. Mais l’administration
Bush, arrivée également au pouvoir à
cette époque, a lancé une campagne
de déstabilisation, visant à renverser
Aristide, ce qui est raconté en détail
dans le livre de Peter Hallward, publié
en 2007, Damming the Flood.
Martelly n'a pas demandé mieux que
de devenir un participant à ce coup
d’Etat en gestation. En 2002, l’étau se resserrait
autour d’Aristide. D’anciens soldats
avaient tenté un coup d’Etat
le 17 décembre 2001, et l’embargo
sur l’aide américaine faisait ses ravages.
Néanmoins, le gouvernement
d’Aristide avait lancé plusieurs programmes
d’investissement social, y
compris des coopératives alimentaires,
la construction d’un nombre sans précédent
d’écoles, des subventions pour
manuels scolaires, et autres mesures,
promouvant l’alphabétisation.
Dans sa chanson de carnaval en
2002, Martelly a évoqué «des émeutes
récentes dans un entrepôt du quai,
déclenchées à la suite d’une rumeur
que des fonctionnaires du parti
d’Aristide volaient de la nourriture
d’un programme alimentaire pour les
pauvres», a écrit le Washington Post. Bien que la corruption sous Aristide
fût pâle comparée à celle sous la junte
militaire de 1991 que Martelly avait
appuyée, sa chanson carnavalesque
toucha une corde sensible. En 2003, Martelly dépensait
en moyenne $150.000 $ à $200
000 pour ses chars durant le carnaval
annuel à Port-au-Prince, selon
le Miami Herald. Pendant le carnaval
où traditionnellement on se moque
du gouvernement, Martelly a lancé
des critiques extrêmement acerbes et
vulgaires à l'endroit d'Aristide. Lors,
« Kolangèt manman ou Aristide » a été l’un des refrains de Sweet Micky,
peut-être la pire insulte qu'on peut
faire en créole, ce qui signifi e littéralement
«le colon a baisé ta mère.” Le putsch de 2004 et ses conséquences
En février 2004, Aristide était
chassé du pouvoir une fois de plus.
Une équipe des "Seals" (ndlr. une
force spéciale de la marine américaine)
a enlevé le président chez lui
- ce qu'Aristide a appelé «un enlèvement
moderne" - et l’a envoyé en exil
en Afrique, où il demeure à ce jour.
Durant l'échafaudage de ce coup
d'Etat, des soi-disant «rebelles», composés
d’anciens soldats de l’armée
haïtienne et d'anciens paramilitaires
de l'escadron de la mort FRAPH, conduisaient
des raids en Haïti dans le
Plateau Central et dans le Nord, exécutant
de façon sauvage des dizaines
de partisans d’Aristide, des représentants
du gouvernement et certains
membres de leurs familles. Wyclef
Jean, un ami de Martelly, a décrit les
«rebelles» comme des combattants de
la liberté qui «se battaient pour leurs
droits.» Après le coup d'Etat, des soldats
américains, français, et canadiens ont
occupé Haïti et ont mis en place un
régime de facto illégal. Comme les
protestations contre le coup d’Etat de
Février augmentaient, Martelly tint
un concert à Port-au-Prince en avril
2004 afi n de contrecarrer les appels
en faveur du retour d’Aristide. Le concert
était intitulé: «Gardez-le dehors!»
En Septembre 2004, la tempête
tropicale Jeanne inondait les Gonaïves,
une ville du nord-ouest, tuant
quelque 3.000 personnes. Gérard
Latortue, le premier ministre de facto
installé par les États-Unis, fut largement
critiqué à cause de sa réponse
tardive et ineffi cace à la catastrophe.
L'une de ses rares initiatives fut
d’organiser une collecte de fonds avec
les gens d’affaires haïtiens et américains
réunis à la Chambre de commerce
haïtiano-américaine. Martelly, qui ne
s'était servi de sa musique que pour
saper Aristide, fut la vedette du gala
de Latortue, ainsi que l'a rapporté le
Miami Herald. En 2006, alors que des militants
Lavalas étaient dans la clandestinité,
emprisonnés ou assassinés, le régime
Latortue tint une élection qui porta
l'ex-président René Préval au pouvoir.
La base de Lavalas avait soutenu
Préval, pensant qu’il allait faciliter le
retour d'Aristide, libérer tous les prisonniers
politiques du coup d’Etat, et
renverser le cours néolibéral de la dictature
de Latortue.
Mais Préval a trahi ces attentes,
créant, au contraire, un gouvernement
dominé par des partisans du
coup d’Etat et travaillant en étroite
collaboration avec l’occupation militaire
étrangère qui a été par la suite
transférée à l’ONU. De larges couches
de pauvres ne tardèrent pas à le
vilipender pour avoir failli à permettre
le retour d’Aristide ou à redémarrer
plusieurs des programmes populaires
d’investissement social qu'Aristide
avait lancés. En 2009, le CEP de
Préval interdit au parti d’Aristide, la
Famille Lavalas (FL), de participer
aux élections sénatoriales partielles
et, plus tard, aux élections présidentielles
et parlementaires. La piteuse
réponse de Préval après le tremblement
de terre catastrophique de Janvier
2010 a accéléré son déclin. Les Sélections de 2010 et la
montée de Martelly Finalement, le CEP fi xait des
élections générales pour le 28 novembre
2010. L’Associated Press rapporte
le 10 décembre que la «popularité
politique [de Martelly] a décollé dans
les semaines avant le vote et semble
avoir fait un bond depuis qu’il est
apparu qu’il avait été disqualifi é de
la course de justesse.»
Cette hausse est due à la campagne
de haute technologie de Martelly,
d'une puissance supérieure à
celle de ses 18 rivaux, qu'il a surclassés
en lançant des dizaines de
milliers de messages-textes téléphonique,
demandant aux gens de voter
pour lui.
Martelly a embauché une fi rme
de relations publiques espagnole hitech
pour gérer sa campagne et le
mettre en vedette. « La fi rme Sola,
basée à Madrid, qui a joué un rôle
essentiel en plaçant Felipe Calderón
du Mexique dans le fauteuil présidentiel
en 2006, a dirigé la campagne
de Martelly durant les sept
dernières semaines, ce qui en dit
long pour comprendre comment le
musicien, connu pour ses singeries,
est devenu un candidat sérieux à la
présidence d’Haïti », a rapporté le
Toronto Star, le 6 décembre. Communément, on admet
que Calderón a volé les élections de
2006 au candidat de gauche López
Obrador, une sale victoire qui a plu
à Washington. L’entreprise Ostos
& Sola a également contribué à la
campagne de Lech Walesa, le pion
de l’establishment américain en
Pologne. Damian Merlo, directeur
exécutif d'Ostos & Sola et dirigeant
de la campagne de Martelly, a travaillé
sur la campagne présidentielle
de John McCain, l'ultra-réactionnaire
républicain américain, avant de rejoindre
l’entreprise. Toutes ces associations
soulèvent des questions sur
quelle «main cachée» peut-être derrière
la campagne de Martelly.
« Aujourd'hui la question qui
n'a pas de prix est la suivante: qui
est l’homme d’affaires de Miami qui
est allé vers Antonia Sola pour retaper
la campagne de Michel Martelly »
a écrit le Toronto Star. « Sola sourit à
la question, avec son charme espagnol.
Il ne veut pas trop en dire. "Un ami, un homme d’affaires, nous a
présenté Michel aux États-Unis"», a-t-
il seulement dit. La clé de la formule de Sola pour
Martelly a été de le présenter comme
un «outsider», même s’il avait été le
grand initié au sein de la bourgeoisie
putschiste qui a renversé Aristide par
deux fois. Le 28 novembre, comme
il était devenu évident que les élections
d’Haïti étaient chargées de
fraudes avec en plus négation des
droits civiques, Martelly a rejoint 11
autres candidats pour demander leur
annulation. Mais plus tard, ce jourlà,
selon ce qu'a rapporté Al Jazeera,
Edmond Mulet, qui dirige la Mission
des Nations Unies pour stabiliser
Haïti (MINUSTAH), a appelé personnellement
Martelly pour lui dire
qu’il était en tête. Sweet Micky, sans
même souffl er un mot aux autres
candidats du groupe formé de façon
impromptue, est retourné dans la
course électorale. Le lendemain, Martelly a nié
avoir jamais signé la lettre commune,
lue en sa présence lors de la
conférence de presse conjointe des
candidats le 28 novembre appelant à
l’annulation de l’élection. Il a expliqué
«son changement de position en
disant que sa candidature menait
gagnante dans les bureaux de vote
où il n’y avait pas eu de fraudes,» a
rapporté le Daily Herald de Chicago.
«Il a vu toutes les fraudes
qui ont eu lieu le jour du scrutin,»
a déclaré à IPS un chauffeur de taxi
moto, Weed Charlot, en parlant de
Martelly. «Mais maintenant, il voit
qu’il a des votes et le pouvoir, alors
maintenant il va accepter les élections.
»
Le même jour où il a parlé à
Martelly, Mulet a appelé la candidate
Mirlande Manigat pour lui dire qu’elle
aussi était en tête du vote. Elle aussi
a abandonné le groupe des candidats
revendiquant l'annulation. Puis, le 7 décembre, le CEP a
annoncé que Manigat était en tête
avec Célestin du parti Unité en deuxième
place, donc en position pour le
second tour. Martelly, qui, apparemment,
est arrivé troisième avec un
peu plus de 21%, soit environ 6.800
moins de voix que Célestin, a repris
la voie des protestations.
La colère populaire était déjà
forte contre Préval et le CEP pour
avoir exclu Fanmi Lavalas (23%
seulement des 4,7 millions électeurs
haïtiens se sont présentés, selon le
CEP). Le mess des élections a été la
goutte d'eau qui a renversé le vase.
En outre, il y avait la rage contre
la MINUSTAH pour avoir tenté
d’étouffer que ses troupes à Mirebalais
ont accidentellement introduit
le choléra en Haïti, où la maladie est
maintenant devenue une pandémie.
Avec Wyclef Jean à ses côtés
prédisant une «guerre civile», Martelly
a canalisé la profonde frustration
populaire pour attaquer le gouvernement
pour lui avoir “volé” une
victoire que, prétend-il, devrait être
sienne. Le résultat a été une vague de
chaos liée aux élections. « Il est clair
que la plupart des actes de violence
en Haïti autour de l’élection ont été
menées par des partisans Martelly,»
a dit Ricot Dupuy de Radio Soleil
d’Haïti, basée à Brooklyn. « Des milliers
de ses partisans ont paralysé la
capitale et d’autres villes durant des
manifestations qui comprenaient
des attaques sur des bâtiments publics
», a rapporté Reuters.
Certaines personnes sont
mortes au cours de fusillades et escarmouches
entre partisans de Martelly
et ceux de Célestin. À la fin
de Novembre, le journaliste haïtien
Wadner Pierre a vu un groupe de
partisans de Martelly au centre de
vote Batiment 2004 à Port-au-Prince
lancer des pierres tout en chantant:
«Si vous ne nous laissez pas voter,
nous allons brûler ce bâtiment.»
Les partisans de Martelly sont
responsables de la destruction des
bâtiments gouvernementaux dans la
capitale et dans la ville méridionale
des Cayes. Ils ont aussi agressé des
adversaires, tandis que les partisans
de Célestin ont été accusés d’avoir
tué au moins un membre du secteur
de Martelly au Champ de Mars. L'ancien colonel Himmler Rebu
a déclaré sur les ondes de Signal FM
en Haïti qu’il avait été témoin de la
tactique des troupes de Martelly dans
la rue. «C’est rien de simple,» a-t-il
dit, un euphémisme créole impliquant
qu’il y a des forces cachées en
action.
En bref, il y a deux mouvements
en Haïti aujourd’hui, que certains
rapports de presse sont en train
de simplifi er de façon trompeuse pour
en faire un seul. Il y a les masses
Lavalas mobilisées contre des élections
frauduleuses et d'exclusion de
Préval, contre l’occupation de l’ONU,
et aussi pour le retour d’Aristide. Ensuite, il y a la mobilisation
de Martelly, utilisant sa célébrité et
celle de Wyclef ainsi que les techniques
scientifi ques d'Ostos & Sola,
pour coopter la frustration populaire
contre Préval dans un effort de se
hisser au pouvoir. Pour jeter la confusion
parmi les gens, il assimile Préval
à Aristide, prétendant qu’ils sont les
gouvernements "jumeaux" responsables
des « politiques d'échec » de ces
deux dernières décennies.
En réalité, le triste état d'Haïti
aujourd’hui peut être attribué principalement
aux coups d’Etat de 1991
et 2004, que Martelly a appuyés. En
outre, le pouvoir soutenant Préval -
la bourgeoisie putschiste d'Haïti - est
également proche de Martelly. Nous
assistons [donc] à une féroce rivalité
entre deux factions qui se partagent
les deux mêmes sponsors: la classe
d’affaires d’Haïti anti-Lavalas et les
élites transnationales soutenues par
les États-Unis, leur appareil d’État le
plus puissant. Comme Martelly l'a expliqué à
Georgianne Nienaber du Huffi ngton
Post, il est tout à fait d'accord avec
l'ordonnance de Washington pour
Haïti, soutenant "tout ce qui aidera
les exportations ... tout ce qui
aidera le secteur privé. « Deuxièmement,
Martelly n'appuie pas l'appel
du peuple à mettre fi n à l’occupation
de l’ONU en Haïti: «Je tiens à dire
à la communauté internationale, au
corps diplomatique et aux organismes
non gouvernementaux que nous
avons besoin d'eux," a-t-il dit dans la
même interview.
En fi n de compte, le candidat
Martelly n’est pas un “dark horse”
(outsider) [ndlr. un inconnu (politique)],
comme le Globe & Mail du
Canada le suggère, sorti de nulle part
pour se mettre à la tête des «jeunes et
des démunis d'Haïti.»
Pendant sa campagne, Martelly
s'était plu à dire qu’en Haïti, « il s'agit
davantage de l’homme que du plan » Si cela est vrai, les Haïtiens devraient
avoir de sérieux doutes sur un homme
qui a soutenu deux régimes issus
de coups d’Etat et qui a utilisé des
escadrons de la mort pour réduire au
silence la majorité pauvre et étrangler
la démocratie qui commençait à naître
en Haïti. |