Lors de leur réunion, à laquelle
prenaient part les ambassadeurs du
Brésil, du Canada, de l’Espagne et
des É.-U., les bailleurs de fonds internationaux
sont allés, en connaissance
de cause, de l’avant avec le
scrutin vicié vu que « la communauté
internationale a trop investi
dans la démocratie en Haïti pour se
désintéresser des prochaines élections,
malgré ses [sic] imperfections
», selon les termes du représentant
de l’Union européenne rapportés
dans le câble de l’ambassadeur des É.-U., Kenneth Merten.
Fanmi Lavalas (FL) est le parti
de l’ancien président, alors en exil,
Jean-Bertrand Aristide, kidnappé par
une équipe de commandos SEAL de
l›US Navy le 29 février 2004 et
exilé en Afrique dans le cadre d›un
coup d›État orchestré par la France,
le Canada et les États-Unis.
Au cours de la réunion des
bailleurs de fonds du 1er décembre
2009, cette question a tourmenté
l’ambassadeur canadien Gilles Rivard,
qu’« un appui aux élections,
telles qu’elles se présentent actuellement,
pourrait être interprété par
plusieurs en Haïti comme un appui
à la décision de Préval et du CEP
contre Lavalas ». Il disait que le CEP
avait manqué à sa promesse de « reconsidérer
l’exclusion de Lavalas ».
« Si c’est le genre de partenariat
que nous avons avec le CEP à
l’approche des élections, quel genre
de transparence pouvons-nous attendre
d’eux lors du déroulement du
processus ? » de demander Rivard.
À la lecture du câble, il est clair que les bailleurs de fonds se préoccupaient
uniquement des apparences,
en ce qui a trait à l’exclusion de
Lavalas. Ils s’inquiétaient principalement
de renforcer l’« opposition » (euphémisme pour désigner « la
droite ») qui, à leurs yeux, avait
été « émasculée » par Préval. L’UE
et le Canada ont donc proposé que
les bailleurs de fonds « contribuent
à niveler le terrain », notamment
en « achetant du temps d'antenne
pour permettre aux politiciens de
l'opposition de promouvoir leurs
candidatures », ou risquer de voir la
droite « ne plus représenter une force
significative dans le prochain gouvernement. »
De tels plans, visant à s’immiscer
effrontément et faire du favoritisme
dans le processus électoral
souverain haïtien, laissaient présager
la manière dont Washington
interviendrait en force dans les élections
lorsqu’elles ont finalement eu
lieu le 28 novembre 2010, suivies
des ballotages le 20 mars 2011.
Ces interventions, essentiellement
l’oeuvre de l›Organisation
des États américains (OEA), ou ce
que Cuba appelle « le ministère des
Affaires coloniales » de Washington,
ont assuré la victoire du farouche
défenseur du coup d’État organisé
par les É.-U., Michel « Sweet Micky
» Martelly, 50 ans, ancien musicien
lubrique de konpa; malgré un processus
électoral tragiquement défectueux
et souvent illégal ainsi qu›un
taux de participation anémique.
Moins de 23 % des électeurs
inscrits en Haïti ont voté à l’occasion
de l’un ou l’autre des deux tours,
le plus faible taux de participation
électorale dans l›hémisphère depuis
1945, d’après le Center for Economic
and Policy Research à Washington.
En outre, le deuxième tour était illégal
parce que les huit membres du CEP n’ont jamais été en mesure de
rassembler les cinq voix nécessaires pour ratifier les résultats
du premier tour imposé par Washington et l'OEA.
La réunion des bailleurs de
fonds de décembre 2009 a eu lieu
un peu plus d›un mois avant le tremblement
de terre du 12 janvier 2010,
qui a fait dérailler les élections initialement
prévues pour le 28 février
2010. Lorsque le vote a été reporté,
les enjeux étaient encore plus importants,
d’abord la manière dont les 10
milliards de dollars promis pour l’aide
suite au tremblement de terre allaient
être dépensés et l›avenir de la force
d’occupation militaire de l'ONU, forte de 11 500 membres, qui occupe Haïti
depuis le coup d'État de 2004. Les É.-U. se sont montrés les plus fervents
partisans d’une élection-spectacle
destinée à conférer un vernis
démocratique à la très impopulaire
et onéreuse occupation militaire, qui
coûte actuellement environ 1,5 milliards
de dollars US par année.
L’ambassadeur Merten a exhorté
les bailleurs de fonds à réagir
quelque peu à l’exclusion de FL, disant
qu’il leur suffirait « de tenir une
conférence de presse conjointe pour
annoncer l’appui des bailleurs de
fonds aux élections et appeler publiquement
à la transparence » car «
sans l’appui des bailleurs de fonds,
le calendrier électoral risque de ne
pas être respecté, mettant en péril
une succession présidentielle opportune ».
Son câble était classifié «
Confidentiel » et « à ne pas être divulgué
aux ressortissants étrangers [NOFORN,
c.-à-d. : Not for release to
foreign nationals en anglais] ».
Merten s’était opposé à l’exclusion
de FL, non pas par affinité avec
le parti ni pour soutenir quelques
principes d’inclusion, mais parce que
ce parti risquait de faire figure « de
martyr et que les Haïtiens croiront
(avec raison) que Préval manipule
les élections ».
L’exclusion de FL de l’élection
« pour ne pas avoir soumis les documents
appropriés » a préparé le
terrain pour que Martelly soit opposé
à une autre candidate néoduvaliériste,
Mirlande Manigat.
Le faible taux de participation
aux élections a été attribué à la futilité
du choix entre deux candidats peu
attrayants, une campagne de boycott
massive et, surtout, la consternation
populaire de par l’exclusion
de FL, la raison même pour laquelle
la réunion du 1er décembre a été
convoquée.
L’ancien président Aristide,
de retour d’exil en Haïti le 18 mars,
deux jours avant le second tour, a
cerné la question lorsqu’il a déclaré
à son arrivée : « Le problème, c’est
l’exclusion, la solution c’est l’inclusion ».