Ndlr. Nous continuons cette
semaine la publication des câbles
divulgués par Wikileaks concernant
les agissements souterrains et pervers
des É-U tout juste après le tremblement
de terre du 12 janvier 2010.
Avant même que le gouvernement haïtien l’ait
autorisé, Washington entamait le déploiement de 22 000
militaires en Haïti après le tremblement de terre du 12 janvier
2010, en dépit des déclarations de représentants de l’ambassade
des É.-U. à l’effet qu’il n’existait aucun problème de sécurité
majeur, selon les câbles diplomatiques secrets mis à l a
disposition d’Haïti Liberté par le groupe de défense de
la transparence, WikiLeaks. La décision
de Washington d’envoyer des milliers de soldats en réponse au
tremblement de terre de magnitude 7.0, qui a fait trembler la
capitale haïtienne et les zones avoisinantes, a suscité de vives
critiques de la part de coopérants et de représentants
gouvernementaux partout dans le monde. Ils ont qualifié la
solution militaire à la crise humanitaire d’Haïti d’inappropriée
et de contre-productive, prônant qu’Haïti avait besoin de «
pansements plutôt que d’armes à feu ». Pour reprendre les
mots célèbres du ministre de la Coopération de la France, Alain
Joyandet, les efforts de l’aide internationale devraient avoir
pour but « d’aider Haïti, pas d’occuper Haïti »
Le
président vénézuélien Hugo Chavez décriait également ces«
marines armés comme s'ils allaient à la guerre », lors de
son allocution télévisée hebdomadaire. « Il n'y a pas de
pénurie de canons là-bas, Bon Dieu. Médecins, médecine,
carburant, hôpitaux de campagne, voilà ce que les États-Unis
devraient envoyer. Ils sont en train d’occuper Haïti en
catimini. »
Les câbles
concernant le tremblement de terre montrent que Washington était
très sensible aux critiques visant son intervention, et la
secrétaire d’État, Hillary Clinton mobilisait son personnel
diplomatique pour traquer le « journalisme irresponsable »
à travers le monde et« entreprendre des actions »
pour « bien ficeler la trame de l’histoire ».
Entretemps,
l’ONU en Haïti affirmait que ses 9 000 soldats d’occupation et
policiers suffisaient pour assurer la sécurité. Le 19 janvier,
avec la Résolution 1908, le Conseil de sécurité de l’ONU a
approuvé l’envoi en Haïti de plus de 3 500 renforts « pour
appuyer les efforts immédiats pour la reprise, la reconstruction
et la stabilité », augmentant le nombre de troupes de la
MINUSTAH (la Mission des Nations unies pour la stabilisation en
Haïti, ainsi nommée) à 12 651.
Mais des
responsables de l’administration Obama ont dit que les troupes
supplémentaires des É.-U. étaient nécessaires. « Jusqu’à ce
qu’il soit possible de fournir suffisamment d’aliments et d’eaux
aux gens, il y a une inquiétude que, dans leur désespoir,
certains auront recours à la violence », a dit le secrétaire
de la Défense, Robert Gates, aux reporters six jours après le
tremblement de terre. « Et nous travaillerons avec l’ONU pour
assurer que la situation demeure sécuritaire. »
Cherchant à
éviter l'apparence d'une action militaire unilatérale, les
États-Unis ont demandé à Préval de signer un communiqué conjoint
avec la secrétaire d’État Hillary Clinton le 17 janvier. Haïti
« demande aux États-Unis d’apporter leur appui tel qu’il est
nécessaire pour améliorer la sécurité » disait le
communiqué, offrant une justification pour ce qui deviendrait la
troisième intervention militaire des É.-U. en Haïti au cours des
20 dernières années.
Les révélations que les représentants des É.-U, sur
le terrain à Port-au-Prince, indiquant qu’ils ne croyaient pas
qu’il y avait, effectivement, une menace pour la sécurité
justifiant une intervention militaire se retrouvent dans une
mine de documents constituée par les 1 918 câbles mis à la
disposition d’Haïti Liberté par WikiLeaks.
Déploiement d’abord, autorisation plus
tard
Après le tremblement de terre, la capitale
d’Haïti, Port-au-Prince, avait l’allure d’un champ de bataille.
Des corps jonchant le sol, des immeubles écroulés dans les rues
envahies par la poussière, tandis que les Haïtiens se
précipitaient frénétiquement au secours des survivants qui
appelaient à l’aide sous des montagnes de débris. Plusieurs des
quartiers dévastés semblaient avoir été détruits par des raids
aériens.
Cependant,
l'élément manquant à cette scène apocalyptique était une
véritable guerre ou une flambée de violence. Au lieu de cela,
des familles s’asseyaient dans la rue, regroupées autour de la
flamme vacillante d’une bougie avec leurs possessions. Certains
pleuraient, ou restaient assis en silence, en état de choc,
pendant que d’autres entonnaient des prières, invoquant le nom
de Jésus-Christ, en créole « Jezi ! »
Dans le
chaos qui a suivi le tremblement de terre, le président René
Préval, et son Premier ministre, Jean-Max Bellerive, n’ont pas
eu de communication avec les responsables du gouvernement des
É.-U. pendant environ 24 heures. Lorsqu’ils ont réussi à
communiquer, les dirigeants haïtiens ont tenu une réunion à 15
heures le 14 janvier avec l’ambassadeur des É.-U., Kenneth
Merten, le Premier ministre jamaïcain, les ambassadeurs
brésilien et de l’Union européenne, et des responsables de
l’ONU.
Le président
Préval a établi ses priorités : « Rétablir les communications
téléphoniques; dégager les rues des débris et des corps; fournir
de la nourriture et de l’eau à la population; enterrer les
cadavres; soigner les blessés; coordonner » les groupes au
sein de la destruction catastrophique, explique un câble du 16
janvier 2009. Préval n’a pas mentionné l’insécurité comme étant
une préoccupation pressante. Il n’a pas demandé d’envoyer de
troupes.
Mais le même
câble rapporte que « des éléments avancés de la 82e
division aéroportée sont arrivés aujourd’hui, avec environ 150
militaires sur le terrain. D’autres avions doivent arriver ce
soir avec des troupes et du matériel ».
Le
gouvernement des É.-U. avait entamé le déploiement de moyens
militaires considérables vers Haïti, d’après les câbles secrets
du département d’État. À son apogée, la contribution militaire
des É.-U. comprenait 22 000 soldats – 7 000 à terre et le reste
opérant à bord de 58 avions et 15 vaisseaux à proximité, selon
le Pentagone. Plusieurs pilotaient également des appareils de
détection pour intercepter tout réfugié du désastre.
Un câble de
la secrétaire d’État Hillary Clinton du 14 janvier, destiné aux
ambassades des É.-U. et aux centres de commande du Pentagone à
travers le monde, dit que l’ambassade des É.-U. en Haïti «
prévoit d’importantes pénuries d’aliments et des pillages dans
les zones touchées ». Cependant, les dépêches subséquentes
de l’ambassadeur Merten en Haïti constamment n’indiquent que des
incidents de violence et de pillages
« sporadiques ».
Durant les
premières heures qui ont suivi le tremblement de terre, Préval
hésitait à faire appel aux troupes des É.-U. Un câble du 19
janvier rapporte qu’«un animateur de radio a admonesté le
président Préval sur les ondes de Signal FM le 18 janvier, pour
avoir hésité à autoriser le déploiement militaire des É.-U. »
Toutefois,
Washington n’avait apparemment pas l’intention d’attendre cette
autorisation. Dans un câble daté du 15 janvier, Hillary Clinton
indiquait aux missions diplomatiques et aux centres de commande
militaires qu’« environ 4 000 membres de l’armée des É.-U.
seraient en Haïti dès le 16 janvier et 10 000 le seraient
le 18 janvier ». Cependant, ce n’est que le 17 janvier,
après une rencontre tenue le 16 janvier, que Clinton et Préval
ont diffusé le « communiqué conjoint » dans lequel Haïti
demandait aux É.-U. « d’apporter leur aide pour augmenter la
sécurité».
Consciente
que, sur la scène internationale, les militaires des É.-U.
seraient mal perçus dans le rôle de gardiens de la paix, Clinton
a décrit une série de « points de discussion » à
l’intention des diplomates et des officiers militaires dans son
câble daté du 22 janvier. Elle leur communiquait que l’accent
devrait être mis sur le fait que c’est « la MINUSTAH qui a en
priorité la responsabilité internationale de la sécurité »,
mais que « pour répondre à la demande du président Préval
auprès des É.-U. pour l’envoi de troupes pour aider à améliorer
la sécurité, les É.-U. souhaitent apporter tout le soutien
possible ... et ne supplantent d’aucune façon le rôle de l’ONU ».
L’ONU souhaite
fournir la sécurité
Lors de cette première réunion du 18 janvier
entre Préval et des fonctionnaires internationaux , l’ancien
diplomate du Guatemala, Edmond Mulet, nouveau chef de la
MINUSTAH, a dit que ses troupes « étaient en mesure d’assurer
la sécurité » dans le pays (Mulet venait d’arriver à bord
d’un appareil du Pentagone le jour précédent pour remplacer le
chef de la MINUSTAH, Hédi Annabi, mort enseveli sous les
décombres de l’Hôtel Christopher avec 101 autres employés de
l’ONU lors du tremblement de terre). Mulet « a insisté pour
que la MINUSTAH ait la responsabilité de toute la sécurité en
Haïti, limitant la tâche des autres militaires aux secours
humanitaires ».
Effectivement, de
nombreux Haïtiens furent stupéfaits de voir les soldats de l’ONU
poursuivre leur promenade dans la capitale et ses banlieues, à
bord de blindés bardés d’armes à feu, après avoir volé au
secours de leurs propres employés. Nombreux sont les Haïtiens
qui, depuis longtemps, ne supportent pas la présence de la
MINUSTAH et la dénoncent comme une violation flagrante de la
Constitution de 1987 d'Haïti et un affront à la souveraineté
haïtienne. Les troupes de l'ONU brandissant des armes à feu face
aux victimes désemparées du tremblement de terre, ont ajouté
l'insulte à l’injure.
Même avant
le tremblement de terre, le président Préval avait appelé l’ONU
à délaisser l’aspect de sa mission qui a trait aux patrouilles
coûteuses, pour la plupart vaines et parfois répressives, au
profit des besoins criants en matière d’infrastructure. «
Transformez vos tanks en bulldozers » suppliait
Préval lors de son discours d’inauguration en 2006. Des
responsables de l’ONU et des É.-U. ont systématiquement balayé
cette demande du revers de la main.
Après le
tremblement de terre, le ministre brésilien de la Défense,
Nelson Jobim, et le diplomate de l’Organisation des États
américains (OEA), Ricardo Seitenfus, ont fait écho à la demande
de Préval. Même le Mexique « souhaitait un débat inutile sur
l’examen du mandat de la MINUSTAH » au Conseil de sécurité
de l’ONU, une proposition qui, heureusement, « a été évitée »
rapporte un câble du 24 février de l’ambassade des É.-U. au
Mexique.
Bien que
l’ONU ait augmenté sa force, les soldats des É.-U. postés en
Haïti ou à proximité l’ont finalement supplantée au nombre de
près de 2 pour 1, et ils sont restés pendant six mois. Ces
troupes ont afflué en Haïti au moment où les fonctionnaires des
É.-U. doutaient de la capacité de la force de police haïtienne à
se réorganiser et à maintenir l'ordre, démontrent les câbles.
(Au même moment, les câbles ne font état d’aucune augmentation
marquée de la violence).
Par, contre, pour respecter les «
arguments » de son patron, Cheryl Mills, chef de cabinet de
Clinton, « a assuré à Préval... que l’armée [des É-U.] était
sur place pour l’aide humanitaire et non pas dans le rôle d’une
force de sécurité », explique un câble du 19 janvier.
Mais ce
n’est pas ce que les journalistes ont observé sur le terrain.
Le 19 janvier 2010, l’équipe de Democracy Now,
accompagnée de Kim Ives d’Haïti Liberté, est arrivée à
l’Hôpital général vers 13 heures, peu après les militaires de la
82e division aéroportée. Là, ils ont aperçu les
soldats, armes à la main derrière les portes fermées de l’entrée
principale. Les troupes avaient eu pour instruction d’assurer la
« sécurité » en barrant le chemin à une foule de
centaines de personnes, dont des victimes blessées du
tremblement de terre et des membres des familles des patients
transportant des vivres et des médicaments. « La scène
observée devant l’Hôpital général hier veut tout dire », a
dit Ives dans
une entrevue accordée à Democracy Now! le
jour suivant. « Il s’agissait de gens qui entraient et
sortaient de l’hôpital, apportant des vivres à leurs proches qui
se trouvaient à l’intérieur ou qui avaient besoin de soins, et
il y avait ce groupe de... soldats de la 82e division
aéroportée à l’avant, qui criaient en anglais vers la foule. Ils
ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Ils contribuaient plus au
chaos qu’ils n’y remédiaient. Il aurait pu s’agir d’une comédie,
si ce n’était pas si tragique... Ils n’avaient pas d’affaire là
».
Les
journalistes ont finalement réussi à entrer dans l’hôpital pour
avertir le directeur intérimaire, Dr. Evan Lyon, de ce problème.
Il a immédiatement fait demander que les soldats suspendent leur
siège et ouvrent le portail. Ils ont obtempéré, puis, allant à
l’encontre de la promesse de Mills à Préval, ont immédiatement
repris position dans l’allée d’entrée des véhicules de
l’hôpital, maintenant leur rôle de force de sécurité
parfaitement inutile parmi les blessés qui entraient dan
l’hôpital en claudiquant.
Le point
d'entrée pour une grande partie du personnel militaire et du
matériel a été l’aéroport Toussaint Louverture, le seul aéroport
de la ville. Timothy Schwartz, un anthropologue qui a offert des
conseils à l’USAID, s’est précipité à Port-au-Prince le jour
après le séisme pour aider. « Ben et moi étions à l’aéroport
sur l’aire de trafic, nous aidions les soldats de la 82e
division aéroportée à charger des plaques métalliques épaisses
et lourdes à l’arrière de ma camionnette », écrit-il dans un
livre à paraître. « Puis je me suis demandé, ‘qu’est-ce que
c’est que ces trucs ?’ ».
« ‘Du
blindage corporel’ » dit Ben ». Schwartz se dit que c’est :
« probablement la peur qui pousse les soldats à établir leur
camp avec tout ce matériel militaire derrière une clôture de dix
pieds. Ce doit être la peur qui les motive à se promener dans la
chaleur étouffante avec près de 80 livres de matériel sur eux,
mitraillettes à l’épaule ».
Un médecin
du Colorado qui s’est rendu sur place avec des collègues (à
leurs frais), le 17 janvier, pour aider les blessés, a été
choqué par le déploiement militaire dont il a été témoin à
l’aéroport. « Il nous faut des pansements, pas des armes à
feu », a-t-il dit à l’équipe de Democracy Now.
L’afflux
massif de personnel, d’armes et de matériel militaires des É.-U.,
a provoqué de vives protestations de la part de responsables
intermédiaires français, italiens et brésiliens, et du groupe
d’aide humanitaire Médecins sans frontières. Ils ont été outrés
que des avions transportant des fournitures humanitaires
essentielles aient été empêchés d’atterrir ou retardés, parfois
pendant des jours.
« Nous
avions tout un bordel d’avions rempli de putains de médicaments
! »a dit Douglass Copp, un secouriste des É.-U., à
l’extérieur d’une base de l’ONU, peu après le tremblement de
terre. Les militaires des É.-U., qui avaient pris le contrôle de
l’aéroport de Port-au-Prince ne voulaient pas donner
l’autorisation d’atterrir à l’avion militaire péruvien. Celui-ci
à du être redirigé vers la capitale de la République
dominicaine, 250 km plus loin. « À Santo Domingo, nous avons
pris un bus, puis nous sommes entrés en Haïti uniquement avec ce
que nous avons pu transporter dans le bus », s’est-il
exclamé.
Bien ficeler la trame
de l’histoire
Face à la
réprobation mondiale croissante, la secrétaire d’État Clinton
n’admettait cependant aucune critique du rôle des soldats des É.-U. dans le cadre des efforts humanitaires. « Je suis
profondément préoccupée par des exemples de couverture
médiatique internationale inexacts et défavorables quant au rôle
et aux intentions de l’Amérique en Haïti » a-t-elle écrit
dans un message intransigeant daté du 20 janvier et destiné aux
ambassades partout dans le monde. « Il importe de bien
ficeler la trame de l’histoire sur le long terme ».
Elle a exigé
des ambassades qu’elles lui rapportent des « exemples
spécifiques de journalisme irresponsable dans vos pays hôtes, et
les actions entreprises en réponse ».
De par le
monde, du Luxembourg au Chili, les représentants diplomatiques
ont minutieusement examiné les médias et riposté contre les
critiques concernant l’alignement des forces militaires des É.-U.
en Haïti, faisant parvenir des douzaines de rapports détaillés.
Par exemple,
un câble daté du 20 janvier provenant de Doha raconte la façon
dont un reportage percutant de la section en anglais d’Al
Jazeera décrit la militarisation de l’effort humanitaire et
compare l’aéroport sous contrôle des É.-U. à une « mini Zone
verte » (comme à Bagdad). Ce rapport a donné lieu à un coup
de fil « aux petites heures du matin le 18 janvier » de
l’ambassade des É.-U. de Doha à Tony Burman, directeur chez Al
Jazeera.
Le récit de
l’aéroport était véridique. « Ils avaient pris le contrôle de
l’endroit » a dit Jeremy Dupin, 26 ans, en parlant de la
« coordination conjointe » de l’aéroport. Après
l’écroulement de sa maison, Dupin, un journaliste haïtien, a
erré dans les rues jusqu’à ce qu’il rencontre une équipe d’Al
Jazeera et se mette à travailler comme producteur.
« Il y
avait 20 000 soldats, alors c’était, vous savez, une grosse
affaire » a dit Dupin. « Je crois que nous avons indiqué
qu’il existait d’importants problèmes, et c’est là la raison
pour laquelle les É.-U. n’ont pas apprécié la couverture, mais
nous avons dit la vérité. Et, si c’était à refaire, nous le
referions ».
«
Impossible de dire pourquoi c’était à ce point militarisé, mais
c’était totalement militarisé » a-t-il conclu. »Il ne
s’agit pas là d’une simple affirmation, nous en avons fourni la
preuve par les images. Je veux dire que c’était la vérité. »
Plusieurs
câbles ont signalé une couverture presque universellement
favorable dans les pays hôtes des ambassades des É.U. Mais tout
témoignage négatif à l’encontre des É.-U, même le plus
insignifiant, était signalé et les mesures nécessaires étaient
mises en œuvre. En Colombie, par exemple, « la seule
couverture négative » provenait du caricaturiste d’un
journal qui a dessiné « un soldat colonial hissant le drapeau
des É.-U. sur Haïti », a rapporté l’ambassade à Bogota le 26
janvier. « La mission rencontrera le caricaturiste cette
semaine pour discuter de cette caricature avec lui et
fournir des informations pour réfuter son insinuation, et
s’entretiendra également avec le rédacteur d’El Espectador
pour lui faire part de nos fortes préoccupations. »
L’ambassade de Buenos Aires a rapporté le 26 janvier que le
quotidien « pro-gouvernemental de centre gauche, Pagina 12,
dénonçait le déploiement excessif de troupes des É.-U., notant
que l’ALBA (Alliance Bolivarienne pour les Amériques) a exprimé
son ‘inquiétude quant à la présence en nombre excessif de
troupes étrangères sans raison, sans but, sans lieux spécifiques
ou durée de mandat’, en faisant une allusion à peine voilée à la
présence militaire des É.-U. ».
Protéger les
manufactures
En Haïti,
les responsables de l’ambassade s’inquiétaient de ce que
seulement 30 à 40 % des policiers se présentaient au travail,
alors que quelques 4 000 prisonniers s’étaient évadés du
Pénitencier national. De « nombreux membres et chefs de gangs
» étaient du nombre, a remarqué un câble du 16 février, mais
« la plupart ne sont pas des criminels endurcis et
étaient soumis à une détention préventive prolongée, sans jamais
avoir été condamnés ».
« La
situation sécuritaire s'aggrave » dit un câble du 18 janvier
envoyé peu après minuit. « Des prisonniers évadés ont formé
des gangs pour s’adonner au kidnapping et commettre d’autres
crimes. »
À peine neuf
heures plus tard, une autre dépêche : l’« ambassade de
Port-au-Prince rapporte que la sécurité ‘est assez bonne’, avec
des ‘flambées de violence sporadiques’, malgré les nouvelles
concernant un nombre croissant de pillards arpentant les rues de
Port-au-Prince, les coups de feu et les policiers recourant au
gaz lacrymogène pour disperser les foules ».
Un câble du
23 juin montre que la situation n’a pas changé : «L’ambassade
de Port-au-Prince rapporte que la situation sécuritaire sur le
terrain demeure relativement calme. »
De nombreux
reportages ont décrit de façon malhonnête une éruption
sensationnelle et imaginaire de violence en Haïti. « Les
gangs règnent dans les rues d’Haïti », a rapporté CBS le
jour après le tremblement de terre. Le 19 janvier, CNN.com
titrait en ‘une’que « les craintes quant à la
sécurité augmentent dans les camps de tentes en Haïti »,
accompagné de la légende en-dessous : « Avec 4 000 condamnés
en liberté, rien ni personne n’est à l’abri. »
Mais
l’ambassade des É.-U. rapportait le contraire. Un câble daté du
19 janvier dit que « la situation sécuritaire en Haïti
demeure calme dans l’ensemble et il n’y a aucun signe d’une é
migration massive vers l’Amérique du Nord ». Un autre câble
du 19 janvier dit : « Malgré les difficultés dans les
quartiers dévastés, les résidents semblent calmes et font preuve
de civisme, bien qu’il continue d’y avoir des rapports isolés
concernant des gangs armés. » Le câble poursuit : « Les
résidents logeaient dans un camp de fortune dans les étendues
disponibles, et ils n’avaient encore reçu aucun matériel de
secours de la part des organisations humanitaires. Néanmoins,
les résidents ont fait preuve de civisme et étaient calmes,
polis, résignés et paraissaient bien organisés au cours des
recherches pour leurs biens dans les ruines de leurs maisons.
Par ailleurs, il continue à y avoir des rapports isolés de gangs
armés s’adonnant au pillage et au vol. »
Les É.-U.
n’ont pas lésiné sur les moyens pour renforcer la Police d’Haïti
(PNH), offrant au chef de police, Mario Andrésol, « des
conseils et un mentorat sur le commandement et le contrôle »
de la Drug Enforcement Agency (DEA) et d’agents du FBI, tout en
essayant de s’assurer que les policiers haïtiens soient
rémunérés et bien équipés. Le conseiller de la DEA, Darrel
Paskett, dont la principale priorité tout de suite après le
séisme, était de diriger ses hommes « lourdement armés »
et vêtus de gilets pare-balles pour protéger l’ambassade des
États-Unis « des foules nombreuses » d’Haïtiens
désespérés qui tenteraient de pénétrer dans l’enceinte, a
rapporté FOX News. Les foules ne se sont jamais matérialisées.
Avant la fin
du mois, trois différents câbles du département d’État ont
mentionné que « des contacts à l’ambassade canadienne de
Port-au-Prince rapportent que des consignes ont été données
verbalement par les dirigeants de la police pour que les
prisonniers évadés soient abattus à vue. Des policiers en civil
de l’ONU proches des autorités carcérales ont également eu vent
de rapports non confirmés d’exécutions extrajudiciaires par la
police ».
Les câbles
n'identifient pas quelles mesures, le cas échéant, les
conseillers des É.-U. de la PNH ont prises pour enquêter sur ces
homicides illégaux ou y mettre fin. Il n’y a également aucune
mention des nombreux soi-disant « pillards » dans les
décombres de la zone commerciale du centre-ville de
Port-au-Prince abattus à vue par la police haïtienne, comme
Fabienne Cherisma, 15 ans, qui a pris un tableau dans une
structure effondrée.
Naturellement, les propriétaires d'entreprises haïtiens étaient
les plus préoccupés par la sécurité, surtout celle de leurs
manufactures. Cinq jours après le tremblement de terre,
l’ambassadeur Merten a rencontré des représentants du secteur
des affaires d’Haïti qui lui ont dit que leur « principale
préoccupation était la sécurité à tous les niveaux, incluant
celle des biens, dans les marchés, et pour les ports d’entrée ».
Par la suite, ils ont demandé aux troupes d’occupation de l’ONU
« d’assurer la sécurité des manufactures ayant repris leurs
activités, et se sont engagés à rouvrir dans quelques semaines ».
Des responsables de l’ambassade ont de nouveau rencontré les
représentants du secteur des affaires d’Haïti une semaine plus
tard.
Dans un
câble du 26 janvier, Merten a commenté que « les manufactures
de vêtements en Haïti dépendent d’un modèle basé sur un volume
élevé, de fines marges bénéficiaires, et une faible
capitalisation où les flux de trésorerie sont extrêmement
importants à la survie de l’entreprise ». Il a transmis la
suggestion de prêt de 20 millions de dollars à ce secteur. Au
cours des jours suivants, il applaudit l’introduction au Sénat
des É.- U. d’une législation « visant à fournir une aide à
court terme à l’industrie du vêtement en Haïti », lui
octroyant un traitement commercial préférentiel.
Militarisation
de l'aide humanitaire
Il n'y a
aucun doute que les soldats des É.-U. déployés en Haïti ont aidé
de nombreuses victimes du tremblement de terre. La division du
82e régiment aéroporté a contribué à l’établissement
de l’un des camps pour personnes déplacées de l'intérieur, le
plus vaste et le mieux équipé pour plus de 35 000 âmes, avec
l’acteur Sean Penn au Country Club de Pétionville, qui leur
servait de base d’opérations.
L’intervention pour le tremblement de terre du Pentagone a donné
lieu à l’un des plus importants efforts d’aide médicale de
l’histoire. Les membres du personnel militaire ont soigné et
examiné des milliers de patients haïtiens, dont plus de 8 600
sur le navire-hôpital USNS Comfort. Les chirurgiens à bord du
navire ont procédé à près de 1 000 interventions chirurgicales.
Cependant,
les 800 médecins cubains présents en Haïti ont obtenu des
résultats encore plus impressionnants, et la brigade médicale
Henry Reeve, un contingent de 1 500 médecins cubains et de
médecins de plusieurs autres pays, diplômés de l’École de
médecine de Cuba. Au cours des six mois suivant le tremblement
de terre, la Brigade a soigné plus de 70 300 patients, procédant
à plus de 2 500 opérations, d’après l’Ambassade cubaine en
Haïti, sans déployer un seul soldat et sans faire entrer
d’armes.
En fait, il
y a un mouvement grandissant parmi les ONG dans le monde entier
et même à l'ONU, contre la militarisation de l'aide humanitaire.
Le rapport intitulé « Quick Impact, Quick Collapse : The
Dangers of Militarized Aid in Afghanistan » (« Impact
rapide, Effet criard ») par Actionaid, Oxfam
International et d’autres ONG aurait tout aussi bien pu avoir
été écrit à propos d’Haïti, où le Pentagone mettait en œuvre sa
stratégie « gouvernement clé en main » au moment où
l’étude était publiée à la fin de l’année 2010. « Alors que
la pression politique pour ‘l’obtention de résultats
s’intensifie’ dans les pays ayant contribué des troupes, une
partie grandissante de l’aide est acheminée par l’entremise
d’acteurs militaires afin de ‘conquérir les cœurs et les
esprits’ tandis que les efforts visant les causes sous-jacentes
de la pauvreté..., sont délaissés » lit-on dans
l’introduction du rapport. « Les projets de développement mis
en œuvre grâce à l’argent militaire ou via des structures
dominées par les militaires sont conçus pour donner des
résultats rapides mais sont fréquemment mal exécutés,
inopportuns et ne suscitent pas suffisamment d’engagement
communautaire pour être viables. Il y a peu de preuves que cette
approche favorise la stabilité ... ». Peu importe la manière
dont la question du rôle des militaires des É.-U. et de leur
contribution en Haïti après le séisme est abordé, une chose est
certaine. Le déploiement massif de troupes avait débuté avant le
feu vert du président Préval, plaçant ce dernier devant un fait
accompli auquel il n’a eu d’autre choix que de donner son aval.
« Il est
certain que l'une des principales raisons du déploiement de
troupes des É.-U. en Haïti après le tremblement de terre visait
à contrer tout soulèvement révolutionnaire qui risquait
d’émerger du quasi effondrement du gouvernement » a dit le
militant politique haïtien, Ray Laforest, un membre de
l’International Support Haïti Network. « De plus, depuis
l'époque de son occupation de 1915, Washington perçoit les
Haïtiens comme des sauvages, indisciplinés et violents. Dans les
faits, le séisme de 2010 a
prouvé exactement le contraire : Les Haïtiens se sont réunis
faisant preuve d’un héroïsme exemplaire, de détermination et de
solidarité. Son intervention militaire en réponse au tremblement
de terre montre à quel point Washington méconnaît, se méfie
d’Haïti et la maltraite. » |