Les capitalistes de désastre affluaient en
Haïti comme pour une « ruée vers l’or » pour l’obtention
des contrats de reconstruction du pays après le tremblement de
terre du 12 janvier 2010, écrit l’ambassadeur actuel des
États-Unis, Kenneth Merten, dans un câble secret daté du 1er
février 2010 obtenu par WikiLeaks et examiné par Haïti
Liberté.
« LA RUÉE VERS L’OR » COMMENCE! » titrait
Merten dans l’une des sections de son rapport sur la situation
de 18 heures à l’intention de Washington. « Pendant qu’Haïti
s’extirpe des décombres, différentes entreprises [des É.-U.]
se positionnent pour vendre leurs concepts, produits et services
»,
écrit-il. « Le président Préval a rencontré le Général
Wesley Clark, samedi [le 30 janvier], et a eu droit à une
présentation de vente pour une maison à couche centrale en
mousse résistante aux ouragans et aux séismes. »
L’ancien candidat à la présidentielle des É.-U. et
ancien général, Wesley Clark, agissait à titre de porte-parole
avec la star du basketball professionnel, Alonzo Mourning, pour
le compte d’InnoVida Holdings, LLC, une entreprise basée à
Miami, qui s’était engagée à donner 1 000 maisons construites
avec des panneaux à couche centrale en mousse pour les
sans-abris haïtiens.
L’entreprise de
service de reprise après sinistre de Pompano Beach, en Floride,
« AshBritt a parlé à diverses institutions d’un plan national
pour la reconstruction de tous les bâtiments du gouvernement »,
poursuit Merten dans sa dépêche. « D’autres entreprises
proposent leurs solutions pour les logements ou d’aménagement de
l’espace, ou d’autres concepts de construction. Chacune cherche
à avoir l’oreille du président. »
L’une des personnes qui avait l’oreille du président
Préval, probablement plus que quiconque, était Lewis Lucke, le « coordonateur de l’aide et des secours unifiés » de Washington,
responsable de l’ensemble des efforts d’aide des É.-U. en Haïti.
Il a rencontré René Préval et le Premier ministre Jean-Max
Bellerive, une semaine après le tremblement de terre, et au
moins une fois par la suite, d’après les câbles. Lucke, un
vétéran de 27 ans de l'Agence des États-Unis pour le
développement International (USAID), avait supervisé plusieurs
milliards de dollars de contrats pour Bechtel et d'autres
sociétés à titre de directeur de la mission de l'USAID en Irak
après l'invasion.
Lucke a démissionné de son poste de coordonnateur
des secours pour Haïti en avril 2010, après seulement trois
mois, déclarant dans une interview au journal de sa vile natale,
The Austin-American Statesman : « Il est devenu
évident pour nous que si nous procédions comme il le faut, le
séisme représentait autant une occasion qu’une calamité...
Tellement de pots cassés, que nous avons là l’occasion de tout
remettre en état, espérons-le, d’une meilleure manière et
différemment. »
Mais en décembre 2010, Lucke a intenté une action
contre AshBritt et son partenaire haïtien, GB Group (appartenant
à l'homme le plus riche d'Haïti, Gilbert Bigio), réclamant près
de 500 000 $. Il a affirmé que les compagnies « ne le
payaient pas suffisamment pour ses services, dont celui
d’intermédiaire pour mettre l'entrepreneur en contact avec des
gens puissants et les aider à naviguer dans la bureaucratie
gouvernementale », selon Associated Press. Lucke avait signé
un contrat lucratif de 30 000 $ avec AshBritt et GB Group
quelques semaines avant sa démission, les aidant à obtenir pour
20 millions de dollars us de contrats de construction.
Avant le règlement de la poursuite, Lucke avait déjà
rejoint le fournisseur de produits de maçonnerie MC Endeavors.
La firme a diffusé de nombreux communiqués de presse le mois
dernier, faisant valoir sa capacité à construire des maisons et
acclamant la déclaration du président d'Haïti nouvellement
inauguré, Michel Martelly : « C'est une nouvelle Haïti qui
est ouverte pour les affaires maintenant. »
AshBritt et Lucke n'étaient pas les seuls vautours
de désastres en Haïti qui trempaient dans des magouilles. Un peu
plus d'un an après son geste bienveillant, le directeur général
d’Innovida, Claudio Osorio, était en cour, poursuivi par une
autre vedette de la NBA, Carlos Boozer, pour avoir «
intentionnellement, avec malveillance, frauduleusement »
dilapidé un investissement de 1 million $ du joueur de
basketball dans InnoVida Holdings, a rapporté le Chicago
Sun-Times du 24 avril 2011. L’article cite l’avocat de
Boozer affirmant qu’Osorio a fourni de fausses informations au
sujet de ses affaires, menti, et « promis des rendements de 1
000 % pour les projets à l’intention de zones touchées par des
catastrophes » comme Haïti. « InnoVida est défendeur dans
au moins 14 poursuites connues, dont un droit de rétention
général dont font l’objet les actifs de l’usine en opération »,
selon la poursuite. InnoVida a été confiée à un syndic nommé par
la Cour le 3 mars.
La « ruée vers l’or » annoncée par
l’ambassadeur Merten a commencé alors que des Haïtiens étaient
encore en train d’être tirés des décombres. Depuis, l’USAID a
distribué près de 200 millions $ pour l’aide humanitaire et la
construction. En avril, seulement 2,5 % de l'argent avait été
accordé aux entreprises haïtiennes, selon le Center for Economic
and Policy Research.
Lucke, pour sa part, ne se cache pas de faire
fortune grâce au malheur des autres. « C'est en quelque sorte
la manière américaine » a-t-il dit à Haïti Liberté. «
Vouloir faire des affaires ne signifie pas forcément que vous
cherchez à être un rapace. Il n’y a rien d’insidieux... Ce
n’était pas pire que l’Irak. ». |