Dans les priorités du
président de la République, Michel Joseph Martelly, l’Etat de
droit figure parmi la politique de quatre « E » de son
gouvernement. Les ministres ne cessent de les répéter chacun
dans sa sphère d’action. Depuis quelques jours, le président
Martelly parle de réconciliation et d’entente nationale. Alors
que l’histoire a toujours démontré qu’il ne peut y avoir ni
réconciliation véritable ni entente nationale digne de ce nom,
qui ne passe par la voie de la vérité, de la justice et de la
réparation. Il ne peut y avoir de la réconciliation ni d’entente
nationale sous le règne de l’impunité. Tant qu’il y a impunité
il ne peut y avoir d’Etat de droit et de réconciliation.
C’est dans
cette perspective que des organisations étrangères et haïtiennes
mettent des pressions sur le gouvernement Martelly/Conille et le
pouvoir judiciaire haïtien pour que l’ex-dictateur, Jean Claude
Duvalier et ses sbires soient traduits par devant la justice
conformément aux lois haïtiennes.
Le 24 novembre
dernier, la concertation pour Haïti (CPH), un regroupement
d’organisations québécoises et canadiennes, fondé en 1994 qui
participe depuis lors au mouvement de solidarité avec le peuple
haïtien en marche vers une société non-violente, plus juste et
démocratique, a écrit au président de la République, Michel
Martelly pour lui demander de faciliter la tenue d’un procès
juste et équitable afin que la justice soit rendue à des
milliers de victimes de la dictature duvaliérienne qui a duré 29
ans.
Voici la teneur
de cette lettre signée par 16 organisations et approuvée par le
représentant d’Amnistie Internationale Canada francophone,
Michel Frênette.
« La Concertation pour
Haïti s’adresse aujourd’hui à vous pour que le pouvoir exécutif
garantisse aux autorités judiciaires l’indépendance, les moyens
matériels et financiers et la sécurité, indispensables pour que
soit déféré à la justice l’ex-président Jean-Claude Duvalier,
afin que ce dernier fasse l’objet d’un procès juste et
équitable.
Déjà, les plaintes déposées ont été jugées recevables et le juge
d’instruction a transmis le dossier au Commissaire du
gouvernement. Il est maintenant impératif que le gouvernement
haïtien confirme publiquement sa volonté de non-interférence
dans le travail des autorités judiciaires afin qu’elles mènent à
terme des enquêtes approfondies et impartiales sur les graves
violations commises sous le régime de Jean-Claude Duvalier. Non
seulement parce que c’est son « devoir », comme l’a rappelé la
Commission interaméricaine des droits de l’homme (Déclaration du
17 mai 2011), mais aussi parce que c’est une occasion unique
dans l’histoire d’Haïti pour enfin mettre un terme au cycle
incessant de l’impunité qui a toujours prévalu. Pour vous,
Monsieur le Président, qui avez fait du rétablissement d’un État
de droit un axe majeur de votre campagne électorale, c’est là
une opportunité historique à ne pas manquer.
Tenir un procès juste et équitable, ce serait rendre justice aux
milliers de victimes du duvaliérisme et restaurer la confiance
des Haïtiens dans un système de justice renforcé. À l’inverse,
mettre fin au processus confirmerait l’idée selon laquelle il
n’y a pas de justice en Haïti, même pour les pires crimes.
Tenir un procès juste et équitable, ce serait également
travailler à la « reconstruction de la mémoire collective et de
la dignité du peuple haïtien tout entier » comme a tenté de le
rappeler Amnistie internationale lors de la présentation de son
rapport « On ne peut tuer la vérité », interrompue par les
partisans de Jean-Claude Duvalier, le 22 septembre dernier.
Nous sommes conscients qu’aller de l’avant est une décision
difficile à prendre et que bien des motifs, quelquefois
d’apparence noble, pourront être évoqués pour s’y soustraire.
Mais il n’y a pas d’échappatoire possible puisque l’histoire a
montré qu’il ne peut y avoir ni réconciliation véritable, ni
entente nationale digne de ce nom qui ne passe par la voie de la
vérité, de la justice et de la réparation.
Nous sommes conscients également que mener à terme un procès
juste et équitable à l’encontre de Jean-Claude Duvalier et
d’autres agents de l’État placés sous ses ordres représente un
immense défi pour le système judiciaire haïtien. Mais nous
sommes convaincus qu’il peut être relevé avec le soutien
technique de la communauté internationale. Si les autorités
haïtiennes adressent une requête en ce sens au gouvernement et à
la société civile du Canada, la Concertation pour Haïti fera
pression pour qu’une réponse adéquate y soit apportée ».
De plus, en Haïti, les victimes de la tyrannie des Duvalier se
sont eux aussi regroupées dans une organisation appelée «
Collectif des Citoyens pour Juger Jean Claude Duvalier. » qui a
pour sigle en créole « KOSIJID » Elle a déjà organisé diverses
activités pour sensibiliser la population haïtienne,
particulièrement les jeunes sur les atrocités et les crimes
abominables commis sous la dictature des Duvalier. Elle demande
à l’appareil judiciaire haïtien de tout mettre en œuvre pour
aboutir à un jugement équitable de Jean Claude Duvalier de
retour en Haïti depuis 16 janvier 2011.
Elle demande également au gouvernement en place de faciliter et
de fournir aux autorités judiciaires tout ce qui est nécessaire
pour que le jugement de Jean Claude Duvalier devienne une
réalité historique.
Dans la foulée, le secrétaire exécutif de la Plateforme des
organisations Haïtiennes des droits humains (POHDH), Antonal
Mortimé se dit inquiet quant à l’avancement du dossier de Jean
Claude Duvalier pendant par devant la justice haïtienne depuis
environ 10 mois. « La POHDH est inquiète devant le laxisme du
président Martelly qui ne manifeste pas la volonté qu’il va
lutter contre l’impunité en encourageant le jugement des
criminels de la dictature des Duvalier, particulièrement, Jean
Claude Duvalier afin d’endiguer l’émergence d’autres criminels.
Les victimes dénoncent le fait que certaines figures qui
appartenaient au régime de Duvalier ou qui étaient proches du
régime sont actuellement de nouveau apparues sur la scène
politique dans le gouvernement Martelly/Conille», précise le
militant des droits humains.
Depuis le retour de Jean Claude Duvalier en Haïti, une centaine
de plaintes ont été déjà déposées au parquet du tribunal de
Première instance de Port-au-Prince contre l’ex-dictateur,
Duvalier, pour crimes contre l’humanité. L’affaire était devant
le cabinet d’instruction, le juge d’instruction a déjà rendu une
ordonnance inculpant Jean Claude Duvalier et a renvoyé les
dossiers au Parquet.
Entre-temps, d’autres plaintes ont été déposées, le commissaire
du gouvernement devrait renvoyer un réquisitoire supplétif
demandant au cabinet d’instruction d’entendre les nouveaux
plaignants. Jean Claude Duvalier est placé en résidence
surveillée sous l’ordre de la justice en attendant le jugement. |