Pendant ces derniers mois,
tandis que les manchettes pointaient ailleurs, le président
haïtien Michel Martelly discrètement était en train de
ressusciter l'appareil de renseignements et de sécurité qui
existait pendant le régime militaire néo-duvaliériste en Haïti
(1986-90) et qui a servi à encadrer les coups d'Etat de 1991-94
et de 2004-06.
Martelly a
placé à des postes clés de la sécurité des anciens officiers de
l'armée haïtienne, des policiers, et des paramilitaires des
escadrons de la mort, dont un grand nombre faisaient parti de la
petite force «rebelle» qui a été à la tête du coup d'État
du 29 février 2004.
Pendant ce
temps, des anciens soldats, et des aspirants, qui ont suivi une
formation dans à peu près dix différents camps militaires autour
d’Haïti, ont commencé à se révolter la semaine dernière pour
exiger que l'armée haïtienne soit officiellement rétablie, ce
qui était une promesse de campagne de Martelly.
Il existe également des
rapports crédibles selon lesquels Martelly rassemble à Miami une
« équipe de tueurs » militarisée, dirigée et montée par
des Américains d'origine haïtienne qui ont servi dans l'armée
américaine. Une source bien placée a dévoilé à Haïti Liberté que
les soldats américains d'origine haïtienne cibleront certains
sénateurs qui sont très critiques du président.
Un des
développements le plus inquiétant est la restauration par
Martelly du Service d'intelligence nationale (SIN), qui avait
été une unité d’espionnage des Forces armées d'Haïti (FAD'H)
créée et financée par la CIA en 1986 sous la junte militaire des
généraux Henri Namphy et Williams Regala. L’unité, bien que
formée soi-disant pour la lutte contre les stupéfiants, s’est «
engagée dans le trafic de drogue et la violence politique », a
écrit à Kathleen Marie Whitney dans son long article de 1996 «
SIN, le FRAPH, et la CIA: les activités clandestines des
Etats-Unis en Haïti » paru dans le Southwestern Journal of Law
and Trade in the Americas. « Toutefois, la CIA a continué de
donner jusqu'à 1 million de dollars par an pour le SIN,
responsable de l'utilisation de leur formation par la CIA pour
espionner les partisans de [l'ancien président Jean-Bertrand]
Aristide et pour le meurtre de jusqu'à 5.000 membres des
mouvements démocratiques de 1986 à 1991. »
« L'unité a
évolué pour devenir un instrument de terreur politique dont les
officiers à des moments sont engagés dans le trafic de drogue,
disent les responsables américains et haïtiens disent, »
écrivait Tim Weiner dans le New York Times du
14 novembre 1993.
Le SIN a été
dirigé par le colonel Joseph Baguidy, Jr., qui, en 1987 a
conduit les soldats qui ont abattu le militant pour la
démocratie Yves Volel quand que seul, il tenait paisiblement une
protestation devant le siège de la police de Port-au-Prince,
avec en main la Constitution haïtienne.
Le SIN a
finalement été dissous en 1996 par l'ancien président René
Préval.
Voici que,
Joseph Baguidy, Jr. est de retour aujourd'hui en tant que membre
de premier plan du SIN nouvellement rétabli par Martelly.
Baguidy a été l'un des fondateurs et dirigeants d'origine des «
rebelles » basés en République dominicaine durant le second
mandat d'Aristide, selon ce que des nouveaux câbles de
l’Ambassade américaine de la période révèlent. Les câbles,
obtenus en vertu de la loi relative à la Liberté d'accès à
l'information, sont présentés dans le nouveau livre «
Le paramilitarisme et l'assaut sur la démocratie en Haïti
» par Jeb
Sprague, qui devrait être publié plus tard cette année par
Monthly Review Press.
Le nouveau SIN
est dirigé par un autre ancien colonel de la FAd'H, Irvin Méhu,
alias « Ti Méhu », qui a joué une rôle importante dans le coup
d'État de 1991 contre Aristide. Dans un jugement rendu le 15
septembre 2003, le juge Jean Sénat Fleury avait inculpé Méhu
ainsi que deux autres officiers des FAd'H – Jackson Joanis et
Hérold Cloiseau – comme « auteurs matériels » dans l'assassinat
du Père Vincent par embuscade devant son domicile à
Port-au-Prince. Mais près de deux ans plus tard, une cour
d'appel rejetait les accusations portées contre Joanis (bien que
les juges n’aient jamais nommé Méhu dans leur jugement) et le
dossier pour prouver le rôle de Méhu dans l’assassinat du Père
Vincent n’a eu aucune suite.
Le
Réseau National de Défense des Droits humains (RNDDH) a condamné
« l’incohérence des juges » qui ont rejeté le dossier dans
un
rapport du 6 Juillet 2005 intitulé « Le Père Jean-Marie Vincent
assassiné une deuxième fois. »
La décision de
la Cour d'appel « constitue un témoignage éloquent du manque de
sérieux qui caractérise le traitement des dossiers criminels au
niveau de la justice », a écrit le RNDDH. « Le système étale au
grand jour son inefficacité et son inefficience. L'Ordonnance du
Juge Sénat FLEURY renvoyant par devant le Tribunal Criminel...
[et] neuf années d'enquêtes réalisées par quatre Juges
d'Instruction ont été réduites à néant par le seul fait que le
Greffier n'a pas signé l'Ordonnance de Clôture. Quelle Justice !
»
La clé du
torpillage du dossier, d’après le RNDDH, était dans « les
déclarations contradictoires de Youri LATORTUE », alors un
officier de police. Latortue a bénéficié d’immunité contre toute
poursuite conférée par le Tribunal, pour être un témoin dans
l'affaire, mais il aurait dû être parmi les accusés. « En quoi [
Latortue] a-t-il aidé vraiment le tribunal puisqu'aucune lumière
n'avait été faite sur le crime ? » a demandé le rapport du RNDDH. «
Quelle disposition de loi donne compétence au tribunal
pour placer un témoin au-dessus de tout soupçon ? Un témoin qui
a menti en plus ! »
La formation d'un service
de renseignement haïtien pour espionner le mouvement pour la
démocratie en Haïti dans les écoles et dans les rues a été comme
un sérieux projet pour Youri Latortue, qui est maintenant un
puissant sénateur et peut-être le plus proche allié du président
Martelly au sein du Parlement haïtien. Latortue est également
accusé par un témoin d'avoir mené l’escadron de la mort qui a
tué le Père Vincent. Dans les câbles secrets de l'ambassade
américaine fournis par l’organisation Wikileaks à Haïti
Liberté, Latortue a été décrit comme un « Mafieux...
vendeur de drogue... Champion de corruption politique », et
« le plus effrontément corrompu des leaders politiques
haïtiens » (voir
Haïti Liberté, Vol.4, n ° 50, le 29 juin 2011).
Dans un autre
câble secret du 6 Juillet 2005, le chargé
d'affaires américain Douglas M. Griffiths a indiqué que « les
rumeurs vont bon train que le IGOH [gouvernement provisoire
d'Haïti] (et plus particulièrement Youri Latortue) est en train
de mettre sur pied une “cellule de renseignement” au sein du
mouvement étudiant à des fins politiques. »
Pendant ce
temps, Martelly a réintégré d’anciens soldats et chefs de police
comme Godwork "Gogo" Noël et Jackie Nau dans des positions clés
de sécurité, selon un ancien membre de sécurité de haut rang,
source qui requisent l'anonymat. Noël et Nau sont de proches
collaborateurs de l'ancien soldat / chef policier Guy Philippe,
qui finalement a été à la tête des forces "rebelles" du putsch
de 2004. Tous les trois hommes faisaient partie d'un groupe
officiers de l'armée haïtienne connu sous le nom « les Equatoriens, » parce qu'ils ont été formés durant le coup d'Etat
de 1991 à 1994 en Equateur par des forces spéciales américaines
et équatoriennes. Le coup d'Etat terminé en 1994, ils sont
retournés en Haïti et ont été nommé chefs de police, seulement
pour s'enfuir d'Haïti en Novembre 2000, lorsqu’ils furent
découverts en train de comploter un coup d'Etat contre l'ancien
président haïtien René Préval.
L'année
dernière, Martelly a cherché à intégrer Noël et Nau dans la
Police nationale haïtienne (PNH) à nouveau, selon notre source.
Toutefois, le directeur de la PNH Mario Andrésol s'y est opposé,
et aux deux hommes a été assigné la fonction de « conseillers
»
à l’Unité Spéciale de Sécurité Générale du Palais National
(USGPN). Jackie Nau est également chef de la sécurité pour le
Parlement haïtien.
Bien que Noël et Nau ne sont que des « conseillers », ils sont
en fait les commandants effectifs de l'USGPN. « L’USGPN, bien
que techniquement faisant parti de la police, est sous le
commandement direct du président, » explique notre source. «
Il
est similaire au cas de [l'ancien agent de l'Institut
international républicain (IRI) qui a joué un rôle clé dans le
coup d'état de 2004] Stanley Lucas à l'ambassade d'Haïti à
Washington, DC. Le Département d'Etat américain a rejeté sa
désignation comme ambassadeur, alors que Martelly l’a envoyé à
Washington en tant que conseiller présidentiel. Mais Lucas a pris
la direction de l'ambassade des mains du chargé d’affaires
désigné par le ministère des Affaires étrangères et agit comme
ambassadeur de facto. C'est la même situation de Noël et Nau
dans le USGPN. Ils sont tous de factos. »
Pendant ce temps, « les anciens et prétendus nouveaux
militaires des Forces Armées dissoutes commencent à perdre
patience, en voyant marquer le pas sur place le projet de remobilisation de l’armée, tel que promis par le chef de l’Etat
quand il était en campagne », a rapporté l'Agence haïtienne de
Presse le 8 février. « Le sénateur Francisco Delacruz [Plateau
Central] a signalé également que des anciens soldats avec leurs
armes ont également repris leur base à Cerca-la-source », dans
le Plateau Central d'Haïti.
Le lendemain, « le Ministre de l’Intérieur, des Collectivités
Territoriales et de la Défense Nationale, Me Thierry MAYARD-PAUL,
invitait les militaires démobilisés ayant investi les camps de
formation de Carrefour et du Plateau central à garder leur calme
et à rentrer chez eux », a signalé l’AHP. « “Le gouvernement n’a
autorisé personne à investir ces espaces”, a-t-il déclaré ».
Pendant ce temps, le député Emmanuel Fritz Gerald Bourjolly,
vice-président de la Commission de Justice et de la Sécurité
publique, a déclaré que « nous ne sommes pas d’accord qu’au nom
des soldats démobilisés un groupe de personnes puisse déambuler
armé dans les rues, tirer, mettre les gens dans un climat
d'insécurité et créer un climat de terreur », ajoutant que la
police doit « arrêter tous ceux qui sont dans les rues portant
des armes illégales ».
Mais davantage d'armes
illégales peuvent arriver en Haïti prochainement. Une source
bien placée nous dit qu'un groupe hautement entraîné de vétérans
de guerre américains d'origine haïtienne arrivera de Miami en
Haïti avec la tâche de « neutraliser » les critiques bien
connus du président Martelly. Haïti Liberté a été
incapable de confirmer le rapport, mais notre source s’est
révélée digne de foi dans le passé.
Le
principal obstacle pour rendre ce nouvel appareil répressif
pleinement opérationnel, c'est l'argent. « Méhu se plaint qu'il
est prêt à se rendre au travail, mais n'a pas les moyens de le
faire, » rapporte notre source. Méhu a été un chef de file des
anciens soldats, depuis le coup d'État du 29 Février 2004. Dans
une réunion tenue dans la ville de Mirebalais dans le Plateau
central le 25 décembre 2004, « un groupe d’anciens militaires
basé dans le Bas Plateau Central réclament la mise sur pied
d’une force spéciale ou force de sécurité intérimaire », qui
serait dirigée par « la commission nationale de sécurité ou
encore le nouvel Etat Major », selon la Radio Métropole. Parmi
les anciens officiers des FAd'H les soldats ont proposé pour «
nouvel Etat Major »: l'ex-colonel Irvin Méhu.
En Juin 2011, le RNDDH a envoyé
une
lettre ouverte au Président Martelly lui signalant la
présence de « plusieurs ex-policiers à la moralité douteuse
» dans son entourage. « Plusieurs ex-policiers dont
Godwork Noël, Jacky Nau, Gilbert Dragon, Carel Alexandre et Will
Dimanche, renvoyés de l'institution policière, ont intégré votre
service de sécurité alors qu'il pèse sur eux de sérieux doutes
quant à leur implication présumée dans le trafic illicite de
stupéfiants, la violation des droits humains et autres actes
répréhensibles », a écrit le RNDDH.
Méhu, Baguidy, Latortue, Noël et Nau ne sont que quelques-uns
des visages de premier plan de la nouvelle machine répressive
potentielle que le Président Martelly met en place. Il y a
beaucoup de soldats moins connus et des voyous en cours
d'intégration et de mobilisation aussi. Est-ce la restauration
d'un nouveau corps de la terreur et de la répression comparable
aux infâmes Volontaires pour la sécurité nationale (VSN), mieux
connu comme Tontons Macoutes? |