Tout
au long de 2004 et 2005, les autorités non élues de facto
d'Haïti, aux côtés de fonctionnaires étrangers, ont intégré au
moins 400 paramilitaires de l'ancienne Armée dans la force de
police du pays, selon ce que révèlent des câbles secrets de
l'ambassade américaine.
Pendant un an et demi
après le renversement du gouvernement élu d'Haïti, le 29 février
2004, l'ONU, l'OEA et des responsables américains, en
conjonction avec les autorités haïtiennes de l'après-coup, ont
passé au crible la nouvelle force de la police du pays - agent
par agent - et ont intégré des paramilitaires dans le but de
renforcer à la fois le corps policier et en fournissant une
«carrière» alternative aux paramilitaires.
Des
centaines de policiers considérés comme loyaux au gouvernement
renversé du président Jean-Bertrand Aristide ont été purgés.
Certains ont été pourchassés pour être jetés en prison, d'autres
pour être exécutés, selon de nombreuses sources interrogées.
Dans
le même temps, d'anciens soldats des Forces armées d'Haïti (FADH),
dissoutes en 1995, qui étaient rassemblés en une force
paramilitaire «rebelle» qui a travaillé avec l’élite
d’opposition du pays à renverser Aristide, étaient stationnés -
officiellement et officieusement - dans de nombreuses villes à
travers le pays.
Dans
ce cadre, une brigade de frappe extrajudiciaire a été assemblée
à Pétion-Ville. Elle a participé à des raids brutaux (parfois
aux côtés de la police), souvent plusieurs fois par semaine dans
des quartiers de la capitale en résistance contre le coup
d’Etat, ainsi que cela a été documenté dans une étude des droits
de l'Homme de l'Université de Miami, en Novembre 2004.
Les
dépêches secrètes américaines détaillant le remaniement de la
force de la police faisaient partie des 1918 câbles obtenus par
l'organisation médiatique Wikileaks et fournis à
Haïti Liberté.
Les câbles montrent
que les fonctionnaires de l'ONU et des Etats-Unis ont considéré
le programme comme un moyen utile pour désarmer et démobiliser
les combattants, mais les implications en terme de donner aux
paramilitaires auteurs du coup d’Etat des emplois dans
l’appareil de sécurité du gouvernement ont été cachées ou
ignorées.
Les câbles aussi ont montré
clairement que les responsables américains utilisant le procédé
d’«indicateurs
d’alerte»
(«redlines»)
et
de «signaux
avertisseurs» («redflags») ont pris un rôle prépondérant
dans les «réformes», ont minutieusement suivi le
processus de repeuplement de la police d'Haïti.
Des millions de
dollars ont été recueillis pour le financement de la
démobilisation et de l'intégration des FADH – principalement
par le biais de l'ONU et des Etats-Unis – mais les responsables
se sont également adressés à d'autres gouvernements pour le
financement.
Immédiatement
après le coup d'Etat, le processus d'intégration a été réalisé
par les fonctionnaires du gouvernement soi-disant provisoire
d'Haïti (IGOH), sous la supervision des États-Unis, de
l'OEA et de l'ONU. Puis, à partir de Novembre 2004, un système
portant sur le long terme, le DDR (Désarmement, démobilisation
et réinsertion) de l'ONU, a été mis en place. Une partie de ses
tâches comprenait la poursuite de l'intégration continue de
certains des paramilitaires dans la Police nationale d'Haïti (PNH).
Les câbles de l'ambassade
américaine fournissent les détails de l'intégration des
paramilitaires dans la PNH et d'autres agences gouvernementales.
L'un des câbles le plus révélateur est intitulé
«Les
ex-militaires du Nord rendent leurs armes; certains entreront
dans la police nationale.»
Le
câble du 15 mars 2005 donne un aperçu d'une réunion deux jours
plus tôt au Cap-Haïtien en Haïti en présence du
Premier ministre
de facto
Gérard Latortue et
du représentant spécial du Secrétaire général pour Haïti, Juan
Gabriel Valdès. Les fonctionnaires à un moment donné n’ont
supervisé qu’un
«désarmement
symbolique»,
où plus de
«300 membres des
militaires démobilisés d'Haïti à Cap-Haïtien»
ont rendu sept armes
purement symboliques et ensuite ont embarqué à bord d’autobus
vers la capitale.
Les fonctionnaires de
l'ONU et de l'IGOH ont placé les paramilitaires à l’École de la
magistrature de Port-au-Prince, où on plaçait de nombreux autres
ex-soldats.
Le câble décrit
comment précédemment des hauts fonctionnaires de l'IGOH avaient
fait des promesses aux paramilitaires de l'ex-FADH. Certains
«des ex-soldats
au Cap-Haïtien ont dit qu'ils avaient été informés par le neveu
du premier ministre et conseiller à la sécurité, Youri Latortue,
et le conseiller politique du PM, Paul Magloire, qu'ils seraient
admis dans la PNH», a
expliqué le câble
par l'ambassadeur américain James Foley. «Pour nous et pour
le reste de la communauté internationale cela a un signal
avertisseur... »
Mais à la
réunion du 13 mars, M. Gérard Latortue
«avait clairement
exprimé que ce n'était pas le cas»,
disant aux
paramilitaires
«que
l'intégration dans la PNH serait une possibilité pour certains,
mais ils devaient comprendre que tout le monde ne serait pas
inclus dans la police. Des ex-soldats non qualifié pour la PNH
pourraient être embauchés dans d'autres postes de
l'administration publique (par exemple, la douane, les
patrouilles frontalières, etc)»,
a écrit Foley.
Mais les autorités de
l'ONU et de l'IGOH voulaient garder une partie de l'ensemble des
ex-militaires comme une unité cohérente à préparer pour être
intégrée dans la police, révèle le câble. Les fonctionnaires ont
remis le dossier à l'UNOPS, une aile de l'ONU qui se concentre
sur la gestion de projet et des services d'approvisionnement.
En conséquence,
«l'UNOPS a
travaillé à la fois pour relocaliser le bureau d'administration
[des militaires démobilisés] et les quelque 80 individus de
l'Ecole de la Magistrature dans un camp d'anciens militaires
dans le quartier de Carrefour en dehors de Port-au-Prince»,
a écrit Foley. (En
Mars 2011, l'auteur a visité un camp d'entraînement des
paramilitaire des ex-FADH établi dans la zone de Carrefour).
Les priorités de l'ONU et
des responsables américains semblent s’être souvent portées à
réaliser des succès symboliques comme la
«démobilisation»
des paramilitaires. «Le symbolisme du désarmement des
ex-militaires et leur départ de la deuxième plus grande ville
d'Haïti représentent une percée significative»,
a conclu Foley dans
son câble du 15 mars.
À
l'époque, on était en train de loger environ 800 anciens
militaires à Port-au-Prince, l'ONU aidant.
Sur les 400 anciens
soldats intégrés dans la police, en 2004 environ 200 venaient de
la 15
ème
classe
de cadets de la PNH
(appelé «promotion» en Haïti), et 200 de la 17
ème
promotion en 2005,
disent les câbles.
Le numéro 200
n’était pas un hasard. L'ambassade avait dit à l'IGOH que
«l'USG
[Gouvernement des Etats-Unis] ne soutiendrait pas
l’incorporation de plus de 200 anciens militaires de la 17e
promotion»
parce que
«l'USG craignait
que l'incorporation des ex-FADH en grand nombre nuise aux
mesures de réforme de la Police en cours; donc, ils devaient
être étroitement surveillés »,
explique
un câble du 6 mai
2005 .
Ce câble révèle
aussi la domination de Washington sur la reconstruction du corps
de police. Dans une réunion, l'ambassade a déclaré au chef de la
PNH Léon Charles que
«la pratique de
permettre à une catégorie de gens de recevoir des quotas
spéciaux pour inscription dans une promotion (comme cela
s'était passé avec les ex-FADH) doit finir», a
écrit Foley. Tout
soumis,
«Charles a
exprimé son accord et a déclaré qu'il mettrait fin immédiatement
à la pratique.»
Cela
ne signifie pas que les ex-soldats
ne continueraient pas à être intégrés, mais seulement que
«des campagnes de
recrutement à venir ne feraient aucune distinction à l'égard des
anciens militaires, mais n’exerceraient non plus aucune
discrimination contre quiconque ayant servi antérieurement dans
les Forces Armées d'Haïti»,
a dit Charles, selon
le câble.
Un câble du 5
avril 2005 explique que la promotion de la 16
ème
classe des 370
cadets de la PNH n’incluait
«aucun de [ceux
qui] avaient une histoire d'activité à titre d’ex- membre des
FADH .»
Dans un autre câble
du 15 mars 2005 intitulé
«Le DG [directeur
général] Charles fait une mise à jour à propos d’ex- membres de
la FADH dans la Police nationale d’Haïti,»
les responsables
américains ont tracé les grandes lignes du processus
d'intégration de nouvelles classes de cadets à la PNH.
Le câble a expliqué :
«les
fonctionnaires de
l'OEA chargés de la vérification de candidature à la police ont
rapporté qu'environ 400 des candidats des ex-FADH à l'Académie
de police avaient été soumis à un examen pour leur condition
physique en date du 11 Mars .»
Les hommes,
qui venaient tout juste de servir dans les escadrons
paramilitaires dans des régions du pays, étaient en lice pour
200 places dans la PNH. Le câble explique qu'un certain nombre
de ces personnes avaient été embauchées dans les mois et l'année
d’avant.
Le chef de police
Charles a déclaré
«que les
ex-membres de la FADH de la 15ème promotion qu’on
avait mis dans les rues à l'automne dernier [de 2004] seraient
de retour en classe.»
Il était clair que les
fonctionnaires se sentaient un peu inquiets au sujet des
nouvelles recrues à intégrer dans la police, alors ils ont
décidé que les cadets ex-FADH de la 17ème classe, une
fois diplômés,
«seraient
déployés partout en Haïti sur une base individuelle et non pas
comme un groupe.»
Charles a ajouté que parmi
les 200 ex-FADH de la 15
ème
classe,
la plupart
«avait été
attribuée à de petites garnisons de Port-au-Prince»,
ajoutant que,
"bien qu'ils
aient été disciplinés, ils étaient plus âgés et physiquement
plus lents.»
Des
responsables de l'OEA ont noté que les responsables de la police
haïtienne qui étaient à ce moment en train d'aider l'OEA dans
son processus de vérification craignaient certains des
paramilitaires qu'ils interviewaient: «Le personnel de la PNH
qui aidait l'OEA dans le programme de vérification a eu peur
d'interviewer certains des candidats des ex-FADH craignant
d’être potentiellement ciblés si le jury disqualifiait un
candidat.»
Des responsables américains
ont déclaré qu’au sein du
régime
de facto,
les principaux
acteurs de l'intégration des ex-membres des FADH ont été le
Premier ministre Gérard Latortue, le ministre de la Justice,
Bernard Gousse, et une poignée d'autres. L'ambassade américaine
a cherché à superviser la manière dont les fonctionnaires
réalisaient l'intégration, inquiets de l'impact que tout échec
pourrait avoir.
«Nous avons soulevé cette
question avec eux dans d'innombrables occasions, en soulignant
le danger réel pour l'IGOH de perdre le soutien international
pour son assistance à la PNH, si le processus d'intégration des
membres des ex-FADH dans la police n’était pas conforme pas aux
indicateurs d’alerte que nous avions fixés »,
a déclaré le câble.
Les
fonctionnaires de l'ambassade, ainsi que la mission de l'OEA,
«surveilleraient le recrutement, les tests, et le processus de
formation, y compris une révision des examens écrits, des
résultats des tests, et des résultats d’aptitude physique.»
L’ambassadeur Foley a
ajouté que
«la pression pour
amener les ex-membres des FADH dans la PNH reste élevée,»
probablement une
référence à des appels lancés par certains des plus puissants
politiciens de droite et de chefs d'entreprise du pays, qui
avaient une relation de longue date établie avec les
paramilitaires des ex-FADH.
Mais
le Chef de la police Léon Charles, a écrit l'ambassadeur
américain Foley à l'époque, était
«inquiet que
d'autres personnes dans la IGOH aient fait des promesses
irréalistes aux ex-FADH relatives à des emplois dans la PNH dans
le but de les convaincre de se démobiliser.»
Charles
«s’inquiétait de
ce que le groupe du Cap-Haïtien ne trace un exemple que d'autres
pourraient suivre, et a indiqué que l'IGOH pourrait avoir plus
de 1.000 anciens soldats à la recherche d'emplois rapidement, y
compris les 235 du Cap-Haïtien; 300 de Ouanaminthe; 200 du
Plateau Central; 150 des Cayes; 100 de l'Arcahaie, et 80 de
Saint-Marc ».
Le second câble du 15
mars conclut
«que l'USG était
disposé à verser 3 millions de dollars pour le processus de DDR,
mais ne pouvait pas libérer les fonds jusqu'à ce que l'IGOH
conclue un accord avec l'ONU sur une stratégie et une programme
acceptables pour le DDR.»
L'ambassade des Etats-Unis,
jouant un rôle dominant, a voulu clairement travailler en accord
avec la politique d'un réseau transnational. Des responsables
américains avaient aidé à superviser d'autres processus
d'intégration, par exemple au Salvador et en Irak, et le
programme de DDR a été déployé dans un certain nombre d'autres
pays où opèrent les forces onusiennes, comme le Burundi, la
République centrafricaine, la Côte d'Ivoire, la République
démocratique du Congo, le Libéria, la Sierra Leone, la Somalie,
le Soudan, l’Ouganda, l’Afghanistan, le Népal, et les îles
Salomon.
Après
que Charles ait fourni des informations sur le suivi et les
processus par lesquels les groupes paramilitaires des ex-FADH
avaient été intégrés dans les forces de police, l'ambassadeur
Foley remarquait dans un câble du 5 avril 2005:
«Les réponses
épisodiques à nos demandes pour des mises à jour sur des
enquêtes à propos des droits humains démontrent l'incapacité de
la PNH à effectuer des enquêtes internes.»
Pendant leur première année au pouvoir, les autorités de
l'IGOH semblent avoir eu beaucoup moins de surveillance dans
leur traitement de l’intégration des ex-FADH dans la police.
«Jusqu'à présent, le ministère de l'Intérieur et / ou le Bureau
d’administration [des soldats démobilisés] ont été en charge de
l'identification d'éventuels candidats des ex-FADH à la PNH,»
a écrit Foley dans
un de ses câbles du 15 mars. Puis il a précisé que c’était les
Etats-Unisqui menaient le bal:
«Cela doit
changer, de telle sorte que les candidats des ex-FADH à la
police proviennent du processus de réinsertion / conseils
qu’administrera l'ONU (avec le soutien des Etats-Unis à travers
l'Organisation internationale pour les migrations).»
Il est clair également, en se rapportant aux câbles, qu'une fois
que la MINUSTAH et la PNH confrontaient un segment «renégat»
des paramilitaires, les responsables de l'IGOH étaient inquiets
de la façon dont cela pourrait saper le soutien auprès de leurs
supporteurs de droite, d’autant que beaucoup d'alliés de l'IGOH
étaient de la riche classe bourgeoise d'Haïti.
Après plusieurs
tentatives pour arrêter l'un des paramilitaires les plus brutaux
des commandants opérationnels, Rémissainthe Ravix (qui avait
dirigé une faction de l'ex-armée qui s'est avéré finalement être
peu coopérative), l'ambassade américaine a noté en Mars 2005
que, selon le chef du personnel du Premier ministre Latortue,
«l'action récente
de la MINUSTAH contre les renégats des ex-FADH était en train de
jouer largement contre l'IGOH.»
Des fusillades
ont continué à se produire entre la police haïtienne et une
poignée de gangs dans les bidonvilles les plus pauvres de la
capitale en 2005, et à de nombreuses reprises la police a ouvert
le feu sur des manifestations pacifiques contre le coup d’Etat.
«Le 27 avril a été la quatrième occasion depuis Février quand
la PNH a utilisé la force de façon meurtrière»,
a expliqué un câble
du 6 mai 2005. L'ambassade a été vexée du fait que
«malgré les
demandes répétées, nous n'avons pas encore vu les rapports
objectifs écrits par la PNH qui articulent suffisamment les
motifs pour le recours à la force meurtrière. Tout aussi
inquiétants sont les rapports de première main de ces événements
sur les lieux mêmes par la PNH. Ils sont souvent confus et
irrationnels et ne répondent pas aux exigences minimales des
rapports de police.»
La PNH, cependant,
a travaillé avec les forces de l'ONU dans la conduite de ces
raids meurtriers. Léon Charles a reconnu, d’après le câble du 6
mai, que les troupes de l'ONU avaient comme «pratique
courante»
de mettre les forces
de la PNH, plus légèrement armées, à la tête de leurs unités en
entrant dans Cité Soleil, et cela
«donnait souvent
lieu à des réactions excessives de la PNH qui prématurément
faisait recours à l'usage de force mortelle.»
Les câbles de WikiLeaks
révèlent à quel degré Washington et l'ONU ont supervisé la
formation de nouveaux policiers en Haïti et ont approuvé
l'intégration des paramilitaires des ex-FADH qui avaient pendant
des années ciblé avec violence les classes populaires d'Haïti et
des gouvernements élus démocratiquement.
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