L'image d'une démocratie en panne !
Par Jacques Kolo Pierre
Le
dimanche 2 novembre 2014, le président haïtien, Michel Martelly,
a été reçu sur le plateau de TV5 Monde Internationales, chaine
francophone mondiale, pour parler d'Haiti. A cette interview, il
a été question de la démocratie balbutiante, de la bonne
gouvernance, de la justice, du mandat des forces onusiennes, des
élections et des droits de la personne. Cette interview a eu
valeur de test pour Michel Martelly qui semblait vouloir évaluer
son niveau de français. En fait, Martelly qui voulait faire un
show a eu vraiment chaud sur le plateau froid de TV5
Monde.
Au cours de cette entrevue qui a duré une heure, Mr. Martelly a
été très gentil sur le plateau avec les trois journalistes.
Contrairement aux journalistes haïtiens qui essuient toujours
des invectives du chanteur-président, les trois journalistes
français avaient eu le temps et la latitude de lui poser toutes
les questions sans être ridiculisés ni interrompus. Martelly ne
leur a pas demandé de se taire. Si M. Martelly était aussi poli
avec les journalistes Haïtiens, peut-être qu’il aurait fait
l’objet de moins de critiques.
Abordant la crise
électorale, le chef de l'Etat haïtien dit attendre le 12 janvier
2015, date à laquelle le parlement sera dysfonctionnel pour
déterminer la meilleure formule pour organiser les législatives,
municipales et locales. Toutefois, il n’était pas en mesure de
préciser quand les élections auront lieu. Michel Martelly
entend, à partir du deuxième lundi de Janvier, diriger le pays
par décret. Puisque, à ce moment-là, les élections législatives
pour renouveler les deux tiers du Senat et de la totalité de la
Chambre des députés ne seront plus qu'un leurre. Donc, il aura
beau faire passer le temps pour qu’elles n’aient pas lieu. Un
acte qui s’inscrit dans le cadre d’un projet anti-démocratique
sciemment planifié par l’équipe au pouvoir qui jouit du plein
soutien de secteurs puissants de la communauté
internationale.
M. Martelly, comme à son habitude, a imputé la situation au
groupe des six (6) sénateurs haïtiens qui, dit-il, n'auraient
pas jugé bon de voter les amendements à la loi électorale de
2013 devant régir l'organisation des prochaines élections. « Ils
le font non seulement par mesure de boycott, mais aussi ils ne
tiennent aucune séance au Parlement», a soutenu le président qui
dit ne pas avoir un calendrier pour les élections à venir.
Pourtant, le chef de l'Etat haïtien a rappelé qu'il a déjà
procédé, sans succès, à la création de cinq Conseils électoraux,
organisme chargé d’organiser les prochaines joutes électorales.
Michel Martelly avait même convoqué le peuple en ses comices le
26 Octobre 2014. On connait la suite de l’histoire; il n’y a pas
eu d’élections. Au contraire, il a dû rapporter l’arrêté
présidentiel convoquant les
élections.
Evoquant
la situation politique, le président qui, visiblement ne
maitrisait pas les dossiers sur lesquels il était interviewé,
s'est quand même décerné un satisfecit. D'un côté, il parle de
bonne gouvernance. Et de l'autre, il a pointé du droit ceux qui,
dit-il, pratiquent la corruption au sein de son gouvernement.
"La corruption est partout. Elle est surtout liée à une
question de mentalité", a dit le Chef de l'Etat, égrenant
certaines mesures pour pallier à ce mal. Mr. Martelly a surtout
parlé de la mise en place de certaines institutions prévues par
la Constitution dont le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire
(CSPJ) et la nomination d'au moins six juges pour compléter la
Cour de Cassation, la plus haute instance judiciaire du pays.
En ce qui a trait au CSPJ, Sophie Malibeaux qui semble maitriser
les questions haïtiennes, a souligné à l’intention du chef de
l’Etat que malgré la mise sur pied de cette institution, le
pouvoir judiciaire est toujours dépendant du pouvoir Exécutif.
Très peu préparé à cet exercice et embarrassé par les questions
de journalistes expérimentés, Michel Martelly n'a pas eu la
partie belle. Il parlait et déparlait. Alors qu’il est chef
d’Etat, il ne s’est pas gêné de déclarer qu’il n’est pas un
politicien, mais un artiste. Dans ce cas précis, comme il
l’avait fait lors d’une visite au Saint-Siège, Martelly eut
mieux fait de chanter pour les trois journalistes français
plutôt que de répondre à leurs questions. Le président, beau
parleur comme lui seul, a raté l’occasion de se taire tout
simplement.
A bien analyser l’insistance des journalistes sur
certaines question, on se rend compte qu’ils voulaient mettre en
relief les propos contradictoires du chef de l’Etat Haïtien.
Comment peut-on parler de la bonne santé de la démocratie si le
peuple haïtien ne s'exprime pas à travers des élections qui ne
sont toujours pas organisées, s'est questionné le journaliste
Claude Panagoi du quotidien "Le Monde". Michel Martelly a de
nouveau rejeté la responsabilité sur les six parlementaires de
l’opposition. Cependant, l’article 136 de la Constitution fait
de lui le garant du fonctionnement régulier des Pouvoirs Publics
ainsi que de la continuité de l'Etat. Pourtant, il s’est réjoui
que le parlement Haïtien sera dysfonctionnel à partir du
deuxième lundi de janvier 2015.
Mr. Martelly dit ne pas reconnaitre qu'il y a des prisonniers
politiques dans le pays. Ceux qui sont en prison ce sont des
manifestants-casseurs. Et que la justice doit sévir contre eux.
"Il ne faut pas confondre l'anarchie et la démocratie", s'est
exclamé Michel Martelly quelque peu embarrassé par les questions
insistantes des journalistes qui ont fait état de l'arrestation
de vingt-deux manifestants, lors des récentes manifestations
anti-gouvernementales.
Il en a surtout imputé la responsabilité à ceux qu’il désigne
comme les agents du chaos qui veulent, selon Michel Martelly,
semer le trouble dans le pays. Dans la foulée, il a minimisé la
grogne populaire qui grandit petit à petit depuis quelques temps
contre son administration. Selon lui, chaque semaine, il y
aurait entre cinq-cents et mille personnes qui gagnent les rues
pour réclamer son départ du pouvoir. Il les qualifie tout
simplement de quantité négligeable. M. Martelly, ancien
milicien, supporteur du coup d’Etat sanglant de 1991 contre Jean
Bertrand Aristide qui avait fait au moins cinq-mille morts et
ancien supporteur du mouvement « Grenn Nan Bouda, 2002 à 2004
(Couilles dans les fesses) s'est présenté comme l'apôtre de la
paix et de la réconciliation. Il a parlé de dialogue entrepris
avec tous les secteurs de la vie nationale dans la perspective
d’une solution à la crise politique. Cependant, ce qu’il n’a pas
dit, c’est que ce dialogue auquel il fait référence, consiste
plutôt à faire passer le temps au lieu de chercher à résoudre la
crise. En fait, le processus démocratique est fortement menacé
aujourd’hui. Et le pire est probablement à
venir.
L’abordant sur le dossier
relatif à la présence de la MINUSTHA en Haïti, le président a
fait savoir que son retrait progressif débute en juin 2015 ;
mais a-t-il dit, il a demandé au Secrétaire Général des
Nations-Unies de retarder ce retrait jusqu'à l'organisation de
l'élection présidentielle haïtienne prévue avant la fin de 2015
(NDLR). Il faut sauvegarder les acquis démocratiques des dix
dernières années auxquels la MINUSTHA a grandement contribué a
renchéri le chef de l'Etat visiblement satisfait du travail des
troupes onusiennes accusées d’avoir introduit le virus du
choléra en Haiti. Plusieurs des membres de la composante
militaire de la MINUSTHA sont impliqués dans le viol de mineurs,
dans des violations de droits humains et de meurtres.
Parallèlement, il a révélé que mille cinq-cents
policiers Haïtiens fraichement sortis de l'Académie viennent
grossir annuellement les rangs de la Police Nationale pour
pallier au départ des forces onusiennes ; en plus, informe-t-il,
des contacts sont en cours avec la Junte Interaméricaine de
Défense, une structure de l'Organisation des Etats Américains
pour aider à construire une ": force parallèle" en Haiti par
rapport à la Police Nationale. Une force parallèle ?
Para-policière ? A rappeler que M. Martelly a déjà déployé dans
la zone de petite Rivière de l’Artibonite une petite armée
sans Etat-major et
formée en Equateur dont la composition ne dépasse pas
quarante-et-un hommes.
En terme de
réalisations, le président haïtien a parlé du succès de son
programme de scolarisation gratuite qui aurait permis à un
million sept-cent mille enfants en situation irrégulière d’aller
à l’école ; alors que quatre-vingt-cinq pourcent (85) %
d'établissements scolaires sont attribués au privé ; tandis que
pourtant, les chiffres dont fait mention le président
contrastent avec ceux que le Ministre de l'Education Nationale
d'alors, Réginald Paul avaient avancés ; ce qui lui a d’ailleurs
coûté son portefeuille ministériel. Le président, dans ce
dossier, avance des chiffres en veux-tu en voilà pour embellir
la réalité.
Au cours de sa tournée
européenne, le président Martelly a été reçu le 30 octobre 2014
par la Chancelière allemande Angela Merkel et par le Président
français, François Hollande avant de regagner Port-au-Prince.
Après cette entrevue, la prochaine fois, Michel Martelly
réfléchira sept fois avant de solliciter ou d’accepter une
interview sur une chaine internationale avec des journalistes
chevronnés.
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